La librairie c’est avant tout un fonds. C’est pourquoi nous avons créé un prix qui salue la réédition d’un auteur malheureusement oublié, d’un auteur étranger décédé encore jamais traduit en français, ou d’un inédit ou d’une traduction révisée, complète d’un auteur.

Je suis un livre, puis-je avoir le Prix Mémorable ?

Oui, si j'ai été écrit par un auteur étranger et que c'est la première fois que cet auteur est traduit et publié en français ;

Oui, si j'ai été écrit par un auteur étranger, que j'ai déjà été traduit et publié en français MAIS qu'il se trouve qu'il existe cette toute nouvelle traduction ENTIÈREMENT RÉVISÉE ou INTÉGRALE (parce que ma première traduction a beaucoup vieilli ou que j'ai été maltraité lors de mon premier passage de ma langue d'origine à la langue française) ;

Oui, si j'ai été écrit par un auteur étranger et que je suis un texte INÉDIT ;

Oui, si j’ai été écrit par un auteur étranger et que mon éditeur FRANCOPHONE entreprend la publication des ŒUVRES COMPLÈTES de ce dernier ;

Oui, si j'ai été écrit par un auteur francophone, tombé dans l'oubli ou méconnu et que mon éditeur fait le pari de rééditer.

Au sein d’Initiales, le Comité d’organisation du Mémorable, c'est  :

• Grégoire COURTOIS (Obliques – Auxerre)

• Jean-Marc BRUNIER (Le Cadran lunaire - Mâcon)

• Michel EDO (Lucioles - Vienne)

Charlotte DESMOUSSEAUX (La vie devant soi - Nantes)

Romain LAHAYE (L'Autre monde - Avallon)

Arnault COSTILHES (Initiales)

 

Parmi les lauréats du Prix Mémorable  :

2022 : Catherine Guérard : Renata n'importe quoi, éditions le Chemin de fer

2021 : Luisa Carnés : Tea Rooms, femmes ouvrières, éditions La Contre-allée

2020 : Jean Meckert, Nous avons les mains rouges, éditions Joëlle Losfeld

2019 : John Wain, Et frappe le père à mort, éditions du Typhon

2018 : Raymond Guérin, La Peau dure, éd Finitude

2017 : Ota Pavel, Comment j'ai rencontré les poissons

2016 : Emmanuel BOVE, Mes Amis, éd. L’Arbre Vengeur

2015 : Frank HARRIS, La Bombe, éd. La Dernière goutte, traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel.

2014 : Franz Michael Felder, Scènes de ma vie, éd. Verdier, traduit de l’allemand par Olivier Le Lay.

2013 : Anonyme, La scierie, éd. Héros-Limite

2012 : Steve Tesich, Karoo, éd. Monsieur Toussaint Louverture, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke

2011 : John Williams, Stoner, éd. Le Dilettante, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anna Gavalda.

2010 : Ramon Sender, Requiem pour un paysan espagnol suivi de Le Gué, réed. Le Nouvel Attila, traduit de l’espagnol par Jean-Paul Cortada et Jean-Pierre Ressot. (1ère édition Attila)

2009 : Edgar Hilsenrath, Fuck America, réed. Le Tripode, traduit de l’allemand par Jörg Stickan. (1ère édition Attila)

2008 : Jacques Chauviré, La terre et la guerre, éd. Le Temps qu’il fait.

 

 

 

 


Prix Mémorable 2021

 

 

 

Depuis sa création en 2008, le prix Mémorable récompense le travail mené par les maisons d’édition pour rendre enfin accessibles des livres que nous jugeons incontournables. Cela concerne à la fois la publication d’un titre inédit ou jusque-là épuisé, la retraduction exemplaire d’un texte ou d’une œuvre complète.

Le sens que les libraires indépendants Initiales donnent au Prix Mémorable :
La joie de rendre hommage aux maisons d’édition, aux personnes en charge de la traduction, à leur travail passionné, leur créativité, leur capacité à nous étonner
La volonté de contribuer à mettre la lumière sur des livres jusque-là méconnus ou délaissés
L’envie de nourrir la curiosité des lectrices et des lecteurs qui viennent dans nos librairies

Cette année, les libraires Initiales honorent l'autrice espagnole Luisa Carnés pour son livre Tea Rooms, sorti aux éditions La Contre Allée.

L’avis des libraires Initiales

« Tea Rooms ou le quotidien des femmes travaillant dans un salon de thé madrilène dans les années 30, vu de l’intérieur. Un roman féministe et politique sous forme de manifeste. » Librairie Tulitu (Bruxelles)

« Celles qui travaillent dans ce salon essaient de trouver un équilibre entre leur besoin d’argent, et leur propre indépendance. Les grèves ouvrières qui passent devant les vitrines les attirent autant qu’elles les effraient, puisque la menace du renvoi plane en permanence. Et que faire à part subir, quand on peut vous « remplacer » en un claquement de doigt ? » La Chouette librairie (Lille)

« Chez Luisa Carnes, on retrouve à la fois la radicalité droite et désespérée d’Hélène Bessette et l’empathie des enquêtes littéraires de Florence Aubenas et de Joseph Ponthus. En son théâtre des opérations, une boutique aussi désuète qu’une bonbonnière et aussi sanglante qu’une arène, se cristallise la laborieuse émancipation d’un attachant chœur de femmes rudes et vulnérables, qui nous rappelle le courage et le dénuement qui furent au cœur des luttes sociales du XXème siècle. » Librairie L’Écritoire (Semur-en-Auxois)

« La microsociété qui gravite dans ce salon de thé reflète autant les résistances que les compromissions. C’est aussi le regard lucide que porte une femme sur un monde où la religion et le patriarcat décident de tout. Voilà un grand livre de la très moderne Luisa Carnés. » Librairie La Droguerie de Marine (Saint-Malo)

« Si pour Balzac le cabaret est le parlement du peuple, avec Luisa Carnés le salon de thé devient le théâtre de la lutte des classes. Un grand roman social et féministe, robuste ! » Librairie Lune et l’autre (Saint-Etienne)

« Un texte fort, qui gagne en puissance et se termine en nous mettant la rage au ventre et au cœur, comme une furieuse envie de s'investir pour faire bouger les choses ! Écrit en 1934, Tea Rooms n'a rien perdu de sa fougue. Il résonne toujours autant dans notre société contemporaine... » Librairie Les Lisières (Croix)

« Entre ragots de quartier et revendications ouvrières, entre exploitation et solidarité, entre résignation et lutte.... Luisa Carnés brise le plafond de verre : quelle découverte que cette écriture engagée, implacable et avant-gardiste.» La Nouvelle librairie sétoise (Sète)

« Tea Rooms est porté par une écriture habile et précise, touchante. L’engagement politique et féministe au cœur de ce texte des années 30 surprend par sa résonance actuelle : il était plus que temps de (re)découvrir Luisa Carnés ! » Librairie Livre aux trésors (Liège)


Prix Mémorable 2020

 

Le prix Mémorable des libraires Initiales est attribué à Nous avons les mains rouges de Jean Meckert paru aux éditions Joëlle Losfeld.

Il est suivi par Le détour de Luce d'Eramo, édité au Tripode, dans une traduction de l’italien par Corinne Lucas et La septième croix d'Anna Seghers chez Métailié, dans une traduction de l’allemand par Françoise Toraille.

Richesses cachées

 « Cette année encore, indique Grégoire Courtoisde la librairie Obliques à Auxerre, le prix Mémorable nous a donné l'occasion de révéler les richesses cachées de la littérature mondiale. Les huit livres finalistes venaient d'Inde, du Canada, de Russie, d'Allemagne, d'Italie… tous témoins d'un XXe siècle terrible que les autrices et les auteurs ont saisi avec force et clairvoyance en nous parlant de l'exploitation des ressources naturelles, des minorités opprimées ou de la maltraitance faite aux femmes.  Curieux hasard, les votes finaux des libraires se sont portés sur trois romans qui abordent chacun un aspect de la Seconde Guerre mondiale. Devant la Septième croix, la fuite haletante d'opposants au nazisme et Le Détour, stupéfiant récit sur le périple d'une jeune italienne engagée volontaire dans un camp de travail nazi, c'est Nous avons les mains rouges de Jean Meckert, qui remporte le prix Mémorable. Dans ce roman splendide, écrit à chaud, en 1947, il traite d'un sujet qui fait rage : l'épuration, sordide, violente, la question du pardon, de la réconciliation impossible. »

Meckert, ça bouscule, ça dézingue

Danielle Beauguionde Vent de soleil, à Auray, fait partie des libraires qui ont plébiscité notre nouveau lauréat, dès sa reparution en 2020 : « Nous avons les mains rouges se situe en France dans l’immédiat après-guerre, dans un village des Alpes. Laurent, le protagoniste, tout juste sorti de prison, se trouve malgré lui embrigadé dans une communauté d'anciens maquisards qui n'ont pas baissé les armes et continuent, à leur manière, l’épuration. Ils ne peuvent accepter cette « liberté » que la victoire leur a annoncée, mais qui ne sert que les puissants, « cette goule, cette tromperie, cette farce habillée par les poètes malins ». Lire les romans noirs de Jean Meckert, ou Jean Amila  – le plus illustre de ses pseudonymes –, ça bouscule, ça dézingue. Des années 1940 aux années 1980, l’auteur n’a cessé de porter la voix des « sans mots », avec une gouaille sans pareille, celle du langage parlé de ses pairs, les ouvriers, les hommes des petits boulots. Sans jamais prendre parti, Jean Meckert attrape le lecteur par le paletot, le force à voir une réalité que certains aimeraient cacher »

Un prix qui récompense un livre et une maison d'édition : Joëlle Losfeld

Les libraires Initiales sont heureux de remettre leur prix Mémorable à ce roman magnifique car il ne récompense pas seulement une republication isolée mais toute l'entreprise éditoriale autour de l'œuvre de Meckert, menée par Stéfanie Delestré et Hervé Delouche et Joëlle Losfeld, il y a maintenant quelques années. Ce précieux travail, tout comme ce fut aussi le cas pour les livres du génial Albert Cossery, permet à ces livres de sortir de l'oubli et de vous être proposés en librairie.

 


Prix Mémorable 2019

 

John Wain,

Et frappe le père à mort

Traduction de l'anglais (Angleterre) de Paul Dunand révisée par les éditeurs

 

 

 

Ouvrir un livre de John Wain, c’est prendre une claque. Une beigne salutaire pour nous tirer de la morosité des temps. Voilà donc un auteur qui boxe avec les mots.  Sa rage de vivre est une colère de prolétaire, parfumée au pavé de la rue, bien balancé : un gros bras d’honneur fait à la fatalité. Et les libraires Initiales furent frappés à mort. À tel point que nous lui avons remis notre prix Mémorable, à lui mais aussi à ses jeunes éditeurs marseillais, Yves et Florian Torres, des éditions du Typhon, qui ont déjà republié deux de ses titres en français.

 

Tout commence par la voix du père, il a le premier mot, le premier paragraphe et même tout le chapitre. On le comprend universitaire, plongé dans les livres et d’une parfaite austérité. Il est convaincu que l’éducation ne peut se faire que par l’exemple. Lui-même, jeune, n’a-t-il pas suivi la voie de son propre père ? Son fils, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Loin d’être rebelle, il est simplement rêveur. Mais ne trouve plus sa place dans une cage sans cesse en train de se refermer et qui ne peut plus le contenir.

Une grammaire de grec ancien sera le déclencheur mais c’est bien l’ensemble d’un système qu’il jette à l’eau. Sa quête de liberté le mènera au jazz qui donnera corps à sa rage adolescente et lui fera goûter la nuit, l’alcool et la sensualité. La clarté des notes en lieu et place de la pénombre des bibliothèques. Écrit en 1962, ce texte est un hymne à chaque génération « suivante ». Celle qui vient après et qui doit lutter contre un immobilisme et les certitudes de celle d’avant. Mais si John Wain ose donner le premier mot au père et jouer sur la polyphonie du roman, c'est qu’il est nécessaire que la voix de chacun soit entendue pour tenter de combler le fossé qui les sépare.

Baptiste Gros, La Colline aux livres (Bergerac)

 

 

 

 


Prix Mémorable 2018

La peau dure
Éd Finitude
14.50€

Si le but avoué du prix Mémorable est de remettre à l’honneur une œuvre ou un écrivain
injustement oublié, cette reconnaissance se justifie d’autant plus pour un auteur comme Raymond
Guérin. Il fut l’ami de Jean Paulhan, de Jean Grenier, d’Henri Calet, reconnu dès son premier roman
comme un grand de la littérature réaliste. Soutenu par Albert Camus, il a été, sa vie durant, un
homme de (mauvais) caractère, capable de descendre dans une lettre assassine L’Eté du même
Camus sans remords, capable de refuser le grand prix de l’Académie sous prétexte qu’il n’avait rien
demandé alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne. Au fond, c’est vraisemblablement ce
qui l’a fait peu à peu oublier alors que tant d’autres, du même bois, ont continué d’avoir une vie
livresque.
Raymond Guérin s’est toujours voulu franc-tireur. Sa force, c’est son ton. La rythmique de son parler,
mélange de gouaille populaire apprise sur le tas pendant ses années d’apprentissage dans l’hôtellerie
parisienne et de cynisme assumé. Aucun cliché, aucune complaisance dans ses histoires.
La Peau dure, est un parfait exemple de son œuvre. Il certainement un de ses livres les moins connus
parce que non rattaché à ses œuvres autobiographiques (son Journal, rassemblé sous le nom Le
Temps de la sottise). Une composition simple : trois sœurs, trois chapitres, trois voix… Et ironique à
souhait. Clara, Jacquotte et Louison incarnent le féminin dans les couches populaires des années
1950. Trois filles issues du même mariage, mal aimées, abandonnées par leur père qui les envoie au
STO pendant la guerre, obligées de se débrouiller pour survivre. Maltraitance causée par les
hommes, violence de la justice, cynisme, veulerie, les trois sœurs ont intérêt à avoir la peau dure
pour ne pas crever.
Il y a Clara, la bonne fille, qui a eu la chance de se placer dans une famille progressiste qui ne la prend
pas pour une esclave mais que son passé rattrape ; Jacquotte, « la pâlotte », qui n’a jamais voulu
faire de mal à une mouche et qui pour tout remerciement prend des roustes à tout bout de champ
quand elle ne se fait pas tout simplement mettre plus bas que terre ; et puis Louison, la mauvaise,
celle qui ne s’en laisse pas conter et qui rend coup pour coup.
Alcool, coups bas, mauvais traitements… on se demande en lisant ce livre quelle société est capable
d’instaurer de tels comportements : la violence du patriarcat, celle de l’institution, le poids d’une
morale misogyne et phallocrate. La Peau dure est un texte bref, âpre, puissant. Il ne faudrait pas
grand-chose pour qu’on puisse l’imaginer comme un texte écrit aujourd’hui. Il est brûlant d’actualité.
Un plaidoyer pour un peu plus de justice sociale, un peu moins de rapport de force dans les relations
entre les hommes et les femmes. Un ouvrage nécessaire face aux coups de boutoir de la pensée
réactionnaire.
En rééditant ce texte, les éditions Finitude exhument un auteur dont la modernité est une évidence.
Michel Edo
Librairie Lucioles (Vienne)


Prix Mémorable 2017

Comment j'ai rencontré les poissons
Éditions DO
20 €

Le prix annuel des libraires Initiales a été décernée à Comment j’ai rencontré les Poissons d’Ota Pavel. Un grand classique de la littérature tchèque paru aux éditions do et traduit pour la première fois en français.

Avec son Prix Mémorable, le groupement des libraires indépendants Initiales entend honorer la réédition d’un auteur tombé dans l’oubli, pas encore adapté en français ou dont l’œuvre traduite a fait l’objet d’une révision complète.  

C’est au tour de Comment j’ai rencontré les poissons d’Ota Pavel d’être récompensé par initiales.

Paru aux éditions ​d​o, basées à Bordeaux et dirigées par Olivier Desmettre, l’ouvrage est traduit du tchèque par Barbora Faure. 

Largement autobiographique, Comment j’ai rencontré les poissons fait défiler des souvenirs d’enfance empreints d’une douce mélancolie. Pavel est le nom adopté par la famille de l’auteur après la guerre pour remplacer le nom juif Popper. Entre parties de pêches épiques et chroniques de la vie qui passe, l’auteur offre un récit d’apprentissage où s’esquisse le portrait d’un père fantasque. Plus encore, ​il dit beaucoup, tout en retenue, des drames du XXème siècle en Europe centrale.

Des bulles de joie sous la peau

Déjà traduit dans de nombreux pays, de la Pologne à l’Italie, de l’Espagne aux États-Unis en passant par Israël, Comment j’ai rencontré les poissons n’avait encore jamais été adapté en français.  Le superbe travail des éditions do lui rend enfin justice et offre désormais aux lecteurs francophones le plaisir de découvrir ce texte lumineux, devenu un classique dans son pays.

Les libraires Initiales se sont pris de passion pour ce livre drôle, poignant et sensible qui produit à sa lecture, comme l’a dit de lui l’écrivain italien Erri De Luca, des « bulles de joie sous la peau » :

 « À la fin j’ai poussé une série de soupirs. J’avais fini de lire Ota Pavel et je devais prendre congé du livre et de lui. Comme à la gare on salue un ami qui déménage au-delà de l’océan et emporte un tas de belles heures passées ensemble, je laisse Ota Pavel à celui qui a la chance de pouvoir le rencontrer pour la première fois. »

 

Les deux autres finalistes du Prix Mémorable pour cette année étaient :

Serguei ESSENINE, La Ravine, éditions. Héros Limite, collection Feuilles d'herbe, traduit du russe par Jacques Imbert.

Evguenie ZAMIATINE, Nous, Actes Sud, traduit du russe par Hélène Henri.  


Prix Mémorable 2016

Mes Amis
Éditions de l’Arbre Vengeur
17 €

Lumière !

Oui, lumière sur un de nos grands oubliés du vingtième siècle : Emmanuel Bove. Ecrivain de l’ombre, préférant la rumeur du pavé à celle des salons, il se fit le chantre des petites gens au destin fragile, des hommes et des femmes sans qualité qui élevèrent leur solitude comme unique étendard. Lire Bove, c’est assurément ne jamais l’oublier, lire Bove, c’est trouver un ami sur qui poser la tête quand le monde ne tourne pas rond.

Mathieu – librairie Quai des Brumes (Strasbourg)

 

Ajouter un ami

Découvert par Colette en 1924, ce roman a traversé le XXe siècle clandestinement, adulé par les heureux lecteurs qui tombaient dessus à la faveur des nombreuses rééditions dont aucune ne fut jamais un véritable succès. Emmanuel Bove, en enfant maudit de la littérature française, ne fut donc jamais un nom qui compta dans les anthologies et palmarès.

Jusqu’à aujourd’hui. Car depuis que cette oeuvre passionnante et éminemment moderne est tombée dans le domaine public, quelques éditeurs s’évertuent à la remettre sur le devant de la scène.

Roman inaugural de la carrière d’Emmanuel Bove, Mes amis nous présente le quotidien de Victor Bâton, invalide de guerre dont la pension lui permet tout juste de se loger et de manger à sa faim dans le Paris populaire de l’entre-deux guerres. Mais Bâton souffre, terriblement, de ne pas avoir d’ami auprès de qui se plaindre. Et c’est tout l’objet de ce livre de nous exposer les différentes tentatives - et échecs de surcroît - effectuées par notre héros pour enfin trouver une épaule charitable, masculine ou féminine. Bâton est-il plus mauvais, plus laid, plus bête qu’un autre ? Non. Mais plus exigeant, sans aucun doute, car si la solitude lui pèse, c’est d’abord parce que ses contemporains ne cessent de le décevoir. Humoristique, atmosphérique, Mes amis possède aussi la profondeur discrète des grands romans en ce sens qu’il décrit en filigrane le vide existentiel et émotionnel qui menace l’homme moderne et relativement oisif, une thématique, mine de rien, qui sera la colonne vertébrale de tout un pan de la littérature occidentale du XXe siècle.

Voilà pourquoi Mes amis se comprend aujourd’hui avec encore plus de limpidité, parce qu’un siècle après avoir été écrit, il est peut-être le meilleur témoignage de l’éternelle insatisfaction dans laquelle croupit une grande partie de nos contemporains hyper-connectés mais toujours en quête de véritables amis. Seul en 1924, Victor Bâton s’est aujourd’hui multiplié, et en chacun de nous il en sommeille un fantôme tenace.

 

Grégoire Courtois – librairie Obliques (Auxerre)

 

Entretien avec David Vincent de l’arbre Vengeur L’éditeur de Mes Amis

 

Parce que le prix Mémorable récompense aussi un travail éditorial, Initiales a demandé aux éditions de L’Arbre Vengeur de nous dire quelques mots de la présence d’Emmanuel Bove à leur catalogue. Réponses enflammées, où l’on voit bien, par la voix de l’éditeur David Vincent, que Bove est hautement symbolique de leur important labeur de réédition.

 

Initiales - Les routes qui mènent à Bove sont multiples. Quelle est celle suivie par L’Arbre Vengeur pour rencontrer son œuvre ?

David Vincent - Le chemin qui mène à admirer Bove est simple : il suffit de le lire une fois et on y trouve ce que l'on a pu chercher pendant des années, une langue précise et tenue qui ne divague jamais et trouble pourtant à chaque coup. Éditer Bove nous semblait une évidence depuis longtemps. Il fallait trouver le moment juste.

 

Initiales. - Comment expliquez-vous ce mouvement perpétuel de balancier entre oubli et redécouverte qui semble coller à Bove comme une malédiction ?

DV - L'écriture et l'univers de Bove provoquent un tel malaise, une telle joie aussi et que l'on pourrait qualifier de mauvaise si l'on ne craignait d'être mal interprétés, qu'on peut se demander s'il n'est pas sans cesse repoussé aux lisières des bibliothèques qu'il gauchit imperturbablement par son pessimisme jamais poseur, jamais grandiloquent. Comme il ne grandit pas celui qui en parle, on en cause moins ou à demi-voix, gêné. D'autres diraient qu'on le « refoule ». La postérité d'un écrivain se fabrique autant que la gloire d'un auteur vivant, et tout concourt chez Bove à ruiner les efforts de ses admirateurs dont les hyperboles tombent à plat. L'avantage est que sa langue est d'une telle paradoxale vivacité qu'elle survit et semble se régénérer là où d'autres se ternissent d'avoir un peu trop brillé. Sa « malédiction » est aussi sa chance.

 

Initiales - Pouvez-vous dire quelques mots de la prochaine réédition de La Coalition ?

DV - Mes amis, c'est le premier roman, le coup de massue radical. Mais il cache parfois une œuvre qui s'est déployée sur une vingtaine d'année et dont la profusion peut masquer les riches nuances (ceux qui prétendent que Bove c'est toujours pareil ne l'ont pas vraiment lu). Nous pensions que beaucoup de ses romans seraient réédités et la timidité des reparutions nous étonne. Or, avec La Coalition, étrangement introuvable, on tient un texte ahurissant, encore plus obsédant que Mes amis, une lente plongée dans un univers qui a toutes les couleurs de l'Enfer qui n'est pas rouge comme on le croit mais gris (et tout en nuances...). Dans l'œuvre de Bove, c'est le trou noir, celui qui s'approche le plus de l'inquiétude fondamentale, le plus russe, oserait-on si on voulait se souvenir de l'ascendance de M. Bobovnikoff. C'est un roman à lire en apnée et qui se termine... par une noyade.

 

Initiales. - Un mot de votre travail de réédition et d’exhumation de textes et d’auteurs méconnus ou oubliés. Une tendance de la critique s’est exprimée récemment pour ne voir dans ce travail (mené par vous et d’autres) qu’une sorte de vaine nostalgie et de cécité devant la création contemporaine et ses enjeux. Vous voyez ça comment ? Est-ce que Bove et les autres parlent encore pour aujourd’hui ?

DV - Nier la part du passé dans la création contemporaine est au mieux une fumisterie, au pire une malhonnêteté d'esprits étroits. La cécité, elle est là. Écrire (bien) sans référence est impossible, lire en faisant fi des textes dits anciens est une gageure. On souhaiterait que bien des écrivains d'aujourd'hui pratiquassent leurs aînés, cela sauverait des forêts transformées en papier (vengeance !) Bove est imité depuis bientôt cent ans et ce sont ses imitateurs qui vieillissent. C'est parce qu'il a trouvé la formule pour toucher en chacun de ses lecteurs une angoisse profonde qu'il continuera d'être lu, même si ses décors tombent en poussière. Il y a plus de modernité dans une de ses pages que dans un gros roman de … ou de … (à chacun de remplir). Le souci ensuite est de ne pas en produire de la nostalgie dont on sait, grâce à Simone Signoret, qu'elle n'est plus ce qu'elle était (enfin, c'est Maurice Pons qui lui a écrit son livre, on comprend mieux...). Car chez nous, aucune nostalgie vintage, aucune volonté de stigmatiser le contemporain qui est d'ailleurs un concept flou, d'où notre souhait de ne pas faire des couvertures « à l'ancienne » et de pleurer un âge d'or qui n'existe pas (les mauvais livres sont une constante depuis qu'il y a des livres). En littérature, avoir de la mémoire est une qualité indispensable : les amnésiques n'écrivent rien d'inoubliable…

 

Entretien réalisé par Philippe Marczewski, librairie Livre aux Trésors (Liège)

 

Le site de l’Arbre Vengeur

 


Prix Mémorable 2015

La Bombe
La Dernière goutte
Traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel
20 €

On ne connait pas très bien l’Amérique de la fin du XIXème siècle. Quelques images de paquebots pleins et d’immigrés italiens ou irlandais suffisent souvent à remplir nos tableaux. « La Bombe » retrace les remous politiques qui accompagnaient les conditions de travail désastreuses des ouvriers, en s’arrêtant sur un épisode marquant de la lutte des mouvements ouvriers, la répression policière et la bombe de Haymarket Square.

On y suit les premiers pas sur le continent américain de Rudolph Schnaubelt, et à travers lui les efforts des travailleurs immigrés pour faire valoir leurs droits, dans une Amérique où les natifs, pourtant pas si vieux sur leur sol, sont considérés comme les vrais citoyens.

À Chicago, Rudolph se rapproche des cercles socialistes, dans une époque de meetings et de grèves, et rencontre Louis Lingg. Celui-ci, anarchiste convaincu, le subjugue immédiatement et va l’emmener de plus en plus loin dans ses convictions politiques.

Le livre, écrit en 1908 par Frank Harris, un journaliste ayant lui-même émigré aux États-Unis, n’avait jusqu’à présent jamais été publié en français. Il s’agit d’un récit réaliste de première main qui emmène le lecteur dans l’histoire des luttes sociales et politiques à l’origine du premier mai, en transmettant fidèlement et précisément l’ambiance des cercles engagés de l’époque.

Edith – Point Virgule (Namur)

 

Dans ce texte centenaire, Franck Harris revient sur un épisode de la lutte pour les droits des travailleurs aux États-Unis à la fin du XIXè siècle. Rudolph Schnaubelt, le narrateur de cette histoire, sera celui lancera une bombe le 4 mai 1886 en direction des forces de police, lesquelles, depuis plusieurs mois, matent avec une violence meurtrière le moindre mouvement de révolte syndicale. De cet attentat retentissant naîtra la journée de la Fête du travail du 1er mai ainsi que certaines obligations légales liées au travail des enfants aux États-Unis.

La bombe revient donc sur le parcours de cet immigré allemand humaniste et pacifiste qui en quelques années, au contact du grand militant anarchiste Louis Lingg qui sera son véritable mentor et devant la réalité de l’exploitation ouvrière menée par le patronat américain, deviendra l’homme révolté prompte à exprimer sa colère en commettant un attentat. Impossible de ne pas établir de relation, bien sûr, entre cette explosion là et celles entendues en France et ailleurs durant cette année 2015. Aussi la lecture de ce texte écrit, il faut bien le dire, dans une langue qui nous paraît aujourd’hui un brin désuète par certains côtés, prend-elle une résonance tout à fait actuelle. Salué à l’époque par Charlie Chaplin comme un chef-d’œuvre, ce livre révèle tout le talent de conteur que possédait Franck Harris qui greffera au récit du révolté l’histoire d’amour qu’il tisse – et avec quelles difficultés ! – avec la jeune Elsie Lehman. Cette belle de Chicago qui aurait pu, il s’en est fallu de peu, le faire basculer, non pas du côté de la violence pour la cause collective, mais du côté de l’amour dans sa dimension la plus égoïste. Le destin en décida autrement.

François Reynaud – librairie Les Cordeliers (Romans-sur-Isère)

 

Il est temps de l’annoncer, Le prix Mémorable des librairies Initiales vient d’être attribué au formidable la Bombe de Frank Harris, publié pour la 1ère fois en français par les éditions de la Dernière Goutte !!! La Bombe, récit ultra réaliste écrit en 1908 nous dépeint l’ébullition ouvrière dans des des Etats-Unis au bord de l’explosion sociale. Son narrateur, jeune allemand sans le sou, confronté à l’exploitation des ouvriers par des patrons sans vergogne se radicalise au contact des cercles anarchistes (et de l’amour...). Un récit subversif et poignant, qui dénonce violences policières et patronales.

Stéphane - La librairie des Halles

 

Où l’on découvre l’origine du 1er mai à travers les luttes syndicales des travailleurs immigrés de la fin du XIXème à Chicago. Le récit se concentre sur une courte période racontée par un narrateur allemand, Rudolph, exilé aux États-Unis parti chercher un rêve américain qui va très vite virer en cauchemar. Peu à peu pris au jeu des discours militants écoutés lors de meetings ouvriers, il fait bientôt partie du petit cercle rassemblé autour d’un anarchiste, dont la défense des travailleurs est le cheval de bataille. Personnage plein de charisme, il convainc Rudolph à utiliser in fine la violence en réponse aux répressions policières incessantes et de plus en plus meurtrières. La langue, très classique, suit le récit à la première personne des affres du jeune idéaliste dans ses recherches d’un travail et sa découverte des conditions dans lesquelles sont traités les émigrés.

Laurence – librairie Au Moulin des Lettres (Epinal)

 

Ce très bon roman vient d’obtenir le prix Mémorable, décerné par le groupement de librairies Initiales : C’est l’occasion de se plonger dans le Chicago ouvrier de la fin du dix-neuvième siècle ! A travers un personnage de fiction, Frank Harris nous raconte l’histoire du 1er mai. Ainsi, en emboitant le pas à Rudolph Shnaubelt, jeune Allemand émigré aux États-Unis qui finit par devenir journaliste, vous découvrirez la condition ouvrière de l’époque, vous assisterez aux féroces luttes sociales qui agitent la ville, vous fréquenterez de près -et vous attacherez peut-être- à quelques agitateurs anarchistes, et surtout, vous serez interpelé par des problématiques pleinement contemporaines.

Un texte fort qui mêle réflexions sur la justice et sensualité enivrante des premiers amours. Et qui nous emporte !

 

Mélanie Cartier – librairie Atout-Livre (Paris)


Prix Mémorable 2014

Scènes de ma vie
Verdier
Traduit de l’allemand par Olivier Le Lay
22 €

Scènes de ma vie est le récit autobiographique de la formation d’un jeune vacher à la destinée extraordinaire.

« Je suis venu au monde le treize mai de l’an 1839, entre six et sept heures du matin, à Schoppernau, village le plus reculé des profondeurs du Bregenzerwald. Sous quels signes célestes, dans quel quartier de lune, mon père ne l’a pas noté. Mais en tous cas il devait faire beau, car on pressait nos journaliers de commencer enfin les premiers travaux des champs et d’épandre le fumier dans nos prés. »

Tout est présent dans ce premier paragraphe. Franz Michael Felder naît dans une région et à une époque où il est possible d’avoir à la fois les pieds ancrés dans la terre et la tête dans les étoiles. La nature parle encore aux paysans et dit au père de Franz Michael que son fils ne suivra probablement pas le même chemin que les autres enfants du village. La prophétie se réalise bien vite quand le tout jeune Franz Michaël perd son œil gauche, alors que tous les espoirs (et les économies) de la famille avaient été placés dans le talent d’un médecin, charlatan et alcoolique, qui devait lui soigner l’œil droit… S’ensuit pour Franz Michael, à la fois incroyablement casse-cou et aux pensées extrêmement profondes, une enfance entre normalité et bizarrerie. La lecture forme sa sensibilité tout autant que la compagnie des bêtes. Il pense un temps devenir vétérinaire, mais c’est finalement dans l’écriture qu’il trouvera sa vocation. 

« L’homme intègre et de bonne volonté qui écrit au sein du peuple, et pour le peuple, non pour l’argent, celui-là accomplira bien plus de choses qu’un curé », lui apprit le vétérinaire.

C’est ce que réussira ce grand homme que fut, malgré sa courte vie, Franz Michael Felder. Il parvient à donner à ces « vies minuscules » toute la dignité qu’elles méritent. Par ailleurs, comme le souligne Peter Handke dans sa préface, il nous « explique notre propre enfance ». En lisant ces histoires du passé, notre présent s’éclaire. La langue de Felder est riche de toutes les strates de ses lectures : parfois sentencieuse comme les almanachs qu’il aimait lire en famille, parfois très formelle, comme les journaux qu’il adore lire et raconter autour de lui. On sent aussi l’influence de ses lectures religieuses. En effet, jusqu’à son adolescence, Franz Michael aura pour prescripteur et bibliothécaire le curé du village.

La cerise sur la sachertorte, c’est la traduction d’Olivier Le Lay, déjà responsable d’avoir rendu la voix à Franz Biberkopf dans sa nouvelle traduction de Berlin Alexanderplatz, et qui nous permet de ressentir si justement ce texte qui met une langue sublime au service d’une écriture dépouillée.

Claire Nanty - Livre aux Trésors

 

Attention, ceci est un chef-d’œuvre intemporel (même si c’est un pléonasme) !

Ce texte incroyablement fort, écrit dans les années 1860 et redécouvert par Peter Handke, mérite d’être célébré en France comme le grand livre sur le monde rural, la nature et l’éveil à la littérature qu’il est !

Nathalène Goossens - Atout Livre 

 

Rien ne destinait Franz Michael Felder (1839-1869) à laisser une trace de sa brève existence. Paysan pauvre d’une vallée perdue d’Autriche occidentale, il eut à vaincre mille obstacles, à commencer par les préjugés de son milieu, pour accéder à la littérature et à la poésie, objets précoces de son ambition.
Auteur de romans, de poèmes, d’essais et d’une ample correspondance, il laisse surtout un chef-d’œuvre, publié au lendemain de sa mort : son autobiographie. Dans la langue exceptionnellement fidèle, riche et imagée de la traduction d’Olivier Le Lay, Felder parvient à rendre intensément présentes toutes les situations qu’il décrit. Dès les premières lignes du livre, il est là, en chair et en os, qui entreprend de raconter les "vies minuscules" de ses compatriotes et la sienne, sans apitoiement : simplement pour en dégager la vérité universelle.

L’Arbousier

 


Prix Mémorable 2013

La Scierie
Héros-Limite
16 €

Tant qu’il y aura des éditeurs pour fabriquer des livres que l’on a envie d’ouvrir, des livres beaux, au titre énigmatique et sans bandeau racoleur, bref des livres qui se justifient par le seul fait d’exister et d’être là, sous nos yeux, il y aura alors des libraires pour les lire. Voici La scierie, récit anonyme écrit en 1953 qu’une petite maison d’édition genevoise, Héros-Limite, a décidé de rééditer après une première parution en 1975 chez L’âge d’homme. Pierre Gripari en avait fait alors un éloge d’une grande noblesse repris ici en guise d’introduction. Quand on pense que l’auteur de ce récit n’avait absolument aucune intention d’être publié et qu’il n’a, par la suite, plus donné aucun signe de vie littéraire, on reste sans voix...

Le sujet quant à lui est d’une simplicité remarquable. Un jeune homme vient de rater son baccalauréat. Issu d’un milieu bourgeois, rêvant de marine, il décide d’employer comme il le peut le temps qui le sépare de l’appel sous les drapeaux, en s’occupant en premier lieu de sa force : "Je sais que je suis fort. Je vais essayer de travailler avec ma force, mais que faire ?" Dans son pays, les bords de Loire, le travail de la terre est roi. Mais très peu pour lui : "Les paysans me font chier avec leurs plaintes et leurs gros sous qu’ils cachent comme des salauds." C’est réglé, il ne touchera pas à l’agriculture. Quatre jours de recherche "Puis un beau matin j’arrive dans une toute petite scierie..." et commence alors un récit incroyable que je vous laisserai découvrir !

La scierie fait partie de ces textes qui cognent, sans concession, qui disent les choses sans filtre, aussi bien la franche camaraderie que la méchanceté ouvrière. Les patrons n’ont aucun état d’âme et c’est bien fait pour ceux qui travaillent pour eux. Ils le méritent au centuple. A partir de là, pas de quoi revendiquer la semaine de 35 heures. Ni même de 40. La scierie n’est pas un texte sympathique. Il ne fait pas du bien. Il porte trop haut, vu d’ici, la valeur du sacrifice au travail. Mais mince ! Enfin ! Écrire comme ça. Rendre avec autant de justesse cette expérience de forçat, la voracité des machines, ce goût de sciure et d’os coupés (les scies raffolent des doigts !), la beauté du sang sur les copeaux et la folie des hommes forts, cela vous renvoie les nombrils plumitifs de Saint-Germain-les-près à des années lumières de ce que peut vraiment un écrivain.

Bienvenus dans La scierie !

Les Cordeliers

 

J’écris parce que je crois que j’ai quelque chose à dire. C’est ainsi que commence ce récit anonyme et espérons que le message passe auprès de directeurs éditoriaux trop avides d’encombrer les tables des librairies !

Un jeune homme issu de la bourgeoisie française ayant raté le bac en seconde session et attendant le papier de son engagement dans la Marine, désire, pour subvenir à ses besoins et muscler son corps d’adolescent chétif, se faire employer dans un métier manuel. Ce sera les scieries. Deux ans durant, à toute saison, il sera debout à six heures du matin, fera les kilomètres qui le séparent de son lieu de travail à vélo et ne reviendra que le soir déjà bien tombé. Entre son lever et son coucher, un travail à la chaîne cassant, harassant, abrutissant et plus que risqué l’occupera. D’une écriture brute et limpide, il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une quelconque expérience anthropologique d’un jeune homme de bonne famille s’immergeant dans le rude quotidien des petites gens, mais bien de rendre compte de ce qu’est le travail et comment il forme et déforme. Travailler toujours plus fort, toujours plus vite, toujours plus lourd, toujours plus près de la lame d’une scie circulaire au bruit assourdissant et hypnotisant jusqu’à l’accident. Un récit fort et qui résonne bien longtemps après avoir tourné la dernière page.

Adrien - Point Virgule

 

Daté de 1953, ce récit anonyme raconte le parcours d’un jeune homme issu d’un milieu bourgeois qui, suite à l’échec de sa scolarité, doit se confronter au monde du travail. Deux ans à trimer dans des scieries, à y faire sa place, à ressentir la fatigue et la souffrance du corps.

 Le texte nous est présenté comme un témoignage et non comme un roman. Pas d’intrigue ici. Des zones d’ombres laissées comme telles. Tantôt diatribe « La vie continue. En plein hiver, par tous les temps, je pars à un boulot qui me désespère, avec une bande de cons et de salauds », tantôt éloge du travail qui vous forge « Eux seuls connaissent la valeur de l’effort, parce qu’ils sont habitués à souffrir. Ils ne savent pas tous lire, mais ils sont courageux, costauds, décidés. Ce sont des forts », le texte avance, vous happe et ne cesse de révéler sa force d’écriture. Le narrateur vous fait ressentir la charge, la tension et le risque qui sommeille dans chacun de ses gestes. Le sang se mêle aux coupes de bois. Les machines et les hommes sont à la limite de la rupture à chaque instant. « Si une main pousse plus ou moins fort que l’autre, c’est la coupure ou le choc du bois en pleine gueule. Aussi quand je présente mon croisillon aux lames, j’ai les jetons. ». Le texte de 140 pages n’est emplit que de ces moments forts faits d’orgueil, de souffrance et d’implication physique.

 Cadran lunaire 

 

Pierre Gripari, dans sa préface au récit, rappelle que les chefs d’œuvre sont souvent des œuvres méchantes. Le narrateur de ce récit nous raconte comment deux ans passés dans deux scieries différentes vont l’amener à devenir un homme méchant.

Dans la première scierie, c’est la bêtise de son collègue Bibi associée à l’incompétence du patron qui vont le pousser à devenir un travailleur dangereux pour lui et pour les autres. Dans cette première partie du récit, on est bien loin de tous les récits sur le travail que l’on avait pu lire jusqu’à maintenant : point de franche camaraderie, aucune alliance des ouvriers contre leur patron et nul trace d’idéal politique. Cependant, il nous arrive de rire jaune très souvent. Le narrateur égratigne tout sur son passage, c’est un texte écrit à la kalachnikov et qui ne fait pas dans la demi-mesure : « La vie continue. En plein hiver, par tous les temps, je pars à un boulot qui me désespère, avec une bande de cons et de salauds.  » .

La deuxième partie nous présente une autre face de cet univers impitoyable. Le narrateur est repéré par son deuxième contremaître pour l’aider à monter en 3 semaines et à trois travailleurs, une scierie. L’entreprise est extrêmement risquée, mais si elle réussit, pourrait apporter l’indépendance à son jeune patron et un meilleur salaire au narrateur. Ils se lancent donc dans l’aventure, y jetant jusqu’à leur dernières forces. Ces pages exultent tout autant une virilité tout en muscle et en transpiration, qu’un effroi grandissant à mesure que le narrateur aperçoit (enfin !) ses limites physiques.

La scierie est un texte qui se lit dans un seul souffle et qui nous laisse KO. C’est encore une autre facette peu reluisante de l’exploitation de nos forêts qui est abordée, mais une facette écrite avec style et éditée d’une si belle façon que notre réseau de librairies Initiales en a fait son Prix Mémorable.

Claire Nanty - Livre aux Trésors

 

On ne saura jamais qui a écrit cet incroyable texte, et s’il fut l’œuvre unique d’un auteur éphémère ou bien la pierre fondatrice d’une carrière littéraire. Quoi qu’il en soit, c’est une stupéfaction que de découvrir ce témoignage rugueux et énergique qui ringardise en 140 pages à peine une bonne partie de ce qu’on appellera la littérature "prolétarienne."

Au début des années 50, le narrateur trouve un emploi dans une petit scierie et débute alors un quotidien fait d’effort physique, de danger permanent, de luttes intestines entre ouvriers.

La grande originalité de ce roman, si on excepte sa langue, sublime, qui vous fait accepter toute la violence de ces années de travail acharné et plus pénible que pénible, c’est l’absence d’angélisme du narrateur, qui n’hésite pas à porter un jugement sévère sur le monde du travail et ses mesquineries. Ici, on idolâtre pas le travailleur, on l’invective s’il est bête, on le martyrise s’il est méchant. Ce qui est décrit dans "La scierie", c’est un monde d’efforts inhumains, de sueur et de sang, d’honneur et de vengeance où il faut prouver sa valeur à chaque seconde, un monde où l’action syndicale se résume à la menace du plus gueulard de tous de foutre le camp.

Un moment de littérature unique aujourd’hui réédité grâce à la clairvoyance des excellentes éditions Héros-Limite.

Obliques

 

 Drôle de texte que ce petit opus anonyme, préfacé par Pierre Gripari, qui déclare que la lecture de "La Scierie" lui a permis de trouver son propre style. D’ailleurs selon les rumeurs, l’auteur ne serait autre que son propre frère… Publié une première fois 20 ans après écriture, on doit aux éditions Héros-Limite la remise en avant de cet ouvrage des années 50, qui vient de décrocher le prix Mémorable décerné par les librairies Initiales.

Un jeune homme d’origine bourgeoise se retrouve obligé de travailler car il a échoué à ses examens et ne sera pas appelé pour le service militaire avant deux ans. Plutôt que d’exercer un métier qui correspondrait à son milieu, il va chercher à se confronter au monde des travailleurs manuels, et c’est dans une scierie qu’il échouera. Attendu au tournant – les hommes ne se font pas de cadeaux dans le métier – il démontre un talent et surtout une ardeur au travail qui lui vaut rapidement le respect de la communauté. Mais jusqu’on peut-on repousser ses limites ?

Si "La Scierie" transpire la sueur, l’odeur des copeaux de bois, la brutalité des machines et des hommes qui les manipulent, l’ensemble dégage une grande poésie, qui charmera même ceux que le sujet n’attire pas de prime abord !

Le Bateau Livre

 

Un jeune homme de dix-huit ans, après son échec au bac, cherche un emploi où il pourrait exercer sa force physique. Il commence à travailler dans une scierie. Il découvre la difficulté des travailleurs, leurs conditions de travail, dans le froid, la souffrance et l’usure, mais il se promet de ne pas craquer et de leur montrer de quoi il est capable.

« C’est surtout pour ça, pour épater les sales cons du pays que je ne veux pas caler, pour leur faire voir que je suis capable de faire n’importe quoi pour gagner ma vie et garder la maison. Mais je paye cette obstination. J’ai les mains en sang, le poignet foulé, j’ai froid. »

Un livre magnifique sur la dureté des conditions de travail dans un monde d’homme.

Marie Nawrot - 47°Nord


Prix Mémorable 2016