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    18 avril 2016

    Le but de la collection Incipit est de raconter des premières marquantes passées par le filtre de l'auteur. Le(s) fait(s) réel(s) est (sont) là, la fiction, l'invention itou. Dans ce premier volume, très court, cent-dix pages aérées en comptant un bref dossier sur l'Académie et sur l'élection de Marguerite Yourcenar, des biographies et bibliographies succinctes de l'auteur et de l'illustratrice de la couverture (Catel, que j'ai découverte dans son excellentissime roman graphique, Kiki de Montparnasse), François Bégaudeau prend des libertés avec l'Histoire mais c'est pour mieux nous intéresser à son histoire. Les libertés qu'il prend sont intéressantes, car elles donnent un peu de légèreté et de vivacité au texte. Non pas d'ailleurs qu'il en eût besoin, le texte est enlevé, drôle, ironique, parfois sarcastique, très moqueur avec les gens qui le méritent (enfin ceux dont lui et moi croyons qu'ils le méritent). Le jour de l'élection de Marguerite Yourcenar est très symptomatique du style résolument ironique du livre : "Le 6 mars 1980, aux alentours de 15h10, le malheureux (le fauteuil 16) ne vit donc pas l'huissier présenter l'urne à chacun des votants, puis en déverser le contenu sur le bureau où René de la Croix de Castries, directeur en exercice, assisté d'Edgar Faure, chancelier du trimestre, s'appliquèrent au décompte. Le laxisme général d'après 68 ayant rendu possible que des hommes de lettres fussent illettrés, on releva trois bulletins marqués d'une croix." (p.72/73)

    F. Bégaudeau écrit très bien, joue avec les imparfaits du subjonctif, il est très agréable à lire, fait dans le littéraire, la belle langue française (pour parler de l'Académie, c'est le minimum, mais pas forcément à portée de tous), il dérive parfois vers un certain "j'aime m'écouter écrire" un brin agaçant pour ne pas dire risible surtout lorsqu'au détour d'une phrase, il place une référence à lui-même, un peu tirée par les cheveux : "Heureusement l'évêque de Luçon (Richelieu), où un autre François ès lettres naîtrait en 1971, avait le bras long et par suite les coudées franches." (p.14). Néanmoins, ma première lecture de cet auteur me laissera un bon souvenir, j'ai bien aimé le décalage, son humour et son écriture à la fois sérieuse et drôle, comme dans ce dernier extrait où il résume en quelques lignes le combat des femmes pour l'égalité : "Croyait-on que la modernité se le tiendrait pour dit ? Chassée par la porte, elle revint par la fenêtre. Les femmes votèrent, enfilèrent des pantalons voire des jeans, dansèrent seules, reprirent un Ricard, accédèrent au carnet de chèques, poussèrent l'irrespect de la Nature jusqu'à contester les divins hasards de l'ovulation. L'Académie devait-elle faire comme si de rien n'était ?" (p.51)

    Voici donc une collection qui naît sous les meilleurs auspices (et pas hospices, même si l'on parle de l'Académie française).