121 curriculum vitae pour un tombeau

Pierre Lamalattie

L'Éditeur

  • Conseillé par
    16 décembre 2011

    On pourrait juger le propos assez vain voire totalement inutile : la vie d'un homme normal, ses rencontres, ses difficultés avec ses collègues, sa mère qui ne va pas bien. Sûrement, mais je n'ai pas lâché mon bouquin. Est-ce le détachement, l'humour de l'auteur qui retiennent ? Ou alors sa narration, dans une langue "mesurée, concentrée, criconspecte" (4ème de couverture) ? Plus probablement les deux ajoutés au fait que P. Lamalattie ne ménage pas ses contemporains, dressant parfois des portraits acides, mais qu'il ne se rate pas non plus.

    Une petite explication pour les plus impressionnables : dans le cas présent, le tombeau du titre n'est point mortuaire, mais c'est un genre musical en hommage à un grand musicien ou un ami, ... Une pièce pas forcément triste qui peut s'écrire du vivant de la personne concernée. "Voilà exactement ce que je voulais faire en peinture : un tombeau des hommes et des femmes de notre temps." (p.46)

    121 CV résumés à l'essentiel des gens que rencontre l'auteur émaillent le récit, comme part exemple le sien :

    "1- Pierre

    Après Soir 3, il s'est endormi durant l'émission intitulée : "Les secrets du plaisir féminin". (p.47)

    Ce livre assez linéaire, à part quelques retours en arrière, est donc le récit des rencontres, des pensés d'un homme préparant une exposition : il pourrait être celui du lecteur au jour le jour. Pierre Lamalattie aborde un nombre impressionnant de sujets, comme nous pouvons le faire dans une seule journée, donc a fortiori sur 6 mois ! La peinture bien sûr, avec une critique dure et drôle des impressionnistes et surtout de ceux qui les adulent : "Une peinture sympa, en somme. Évidemment, pas très élaborée sur le plan des registrations, des matières, des sujets, ni de rien, mais sympa... Ils ont inventé la peinture sympa." (p.162)

    On a aussi des pages sur l'écologie, sur l'art contemporain, sur un mariage de bobos auquel comme Pierre, j'aurais absolument détesté être, sur les tracas d'un chef de service qui a besoin systématiquement d'une tête de turc pour asseoir son autorité, sur les soi-disants réussites d'hommes partis de rien qui montent une petite entreprise qui grossit jusqu'à devenir une grosse entreprise, puis qui font faillite mais restent toujours arrogants, apportant plus d'importance à leur image, leur réussite professionnelle qu'au désarroi et à la détresse des gens qu'ils licencient.

    J'ai adhéré à beaucoup de propos de l'auteur, me suis retrouvé dans certaines situations comme lui à la fois dedans et au dehors, comme si une partie de notre individu était partie prenante et l'autre en observation. J'ai un mot pour ça, parfois, je me qualifie de dilettante mais je ne sais pas si Pierre Lamalattie se retrouverait dans cette définition.

    Tout cela pour dire que ce livre un peu fourre-tout m'a beaucoup plu à tel point, que non amateur de gros livre, jamais je n'ai pensé à stopper ma lecture de ces 447 pages, un très bon critère pour moi. J'aurais pu citer encore beaucoup de passages, mais malheureusement trop longs, ainsi que des CV-portraits ; allez, juste un dernier pour la route, pris totalement au hasard :

    "49- Orgon

    Il a des toilettes sèches, un bac à compost, mange des légumes de saison et filtre son eau de pluie" (p182)

    Finalement, la seule chose que je regrette après ma lecture c'est de n'avoir pas pu assister à l'exposition de Brive ; maintenant, j'aimerais bien voir les portraits de Pierre Lamarattie.