Le barbare enchanté, roman
EAN13
9782909240541
ISBN
978-2-909240-54-1
Éditeur
Ecriture
Date de publication
Collection
LITTERATURE FRA
Nombre de pages
308
Dimensions
22,6 x 14,1 x 2,7 cm
Poids
430 g
Langue
français

Le barbare enchanté

roman

De

Ecriture

Litterature Fra

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En langue créole

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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-3590-5149-0

Copyright © Écriture, 2003.

À Maïotte Dauphite.

« L'expérience que j'ai faite à la
Martinique est décisive. Là seulement
je me suis vraiment senti moi-même et
c'est dans ce que j'ai rapporté qu'il
faut me chercher... »

(Paul Gauguin, lettre
à Charles Morice, 1890)

1

Le chien aztèque

L'éclat du gris.

Son « aveuglage », comme le ressassait ce nègre à la parlure sibylline qui, dans son uniforme d'opérette, affirmait avoir été deux fois galonné à la guerre du Mexique, quand Napoléon le Troisième fut la proie d'une frénésie d'empire. Il attachait l'animal aux approchants de sa case, au beau mitan du soleil scélérat de onze heures, et, prenant les passants à témoin, les invitait à admirer la robe de ce qu'il appelait son « chien-fer ». Pour dire la franche vérité, nul n'avait jamais vu cette espèce-là par ici. Dépourvu du moindre poil, les oreilles perpétuellement dressées, l'en-haut du crâne surmonté d'un étrange duvet rose, les yeux fixes et empreints d'un feu inquiétant, le chien-fer semblait monter la garde aux portes du néant.

Ce gris, cette resplendissance de gris fascinait Paul Gauguin qui, au devant-jour, au lieu de se rendre directement sur la plage de sable volcanique du Carbet, son lieu de toilette favori, faisait un détour par cette savane isolée où Lafrique-Guinée, le maître du chien, s'était construit un abri de fortune à l'aide de planches de récupération, de feuilles de zinc rescapées de la fabrication de cercueils pour riches, de branches de cocotier et de vieux journaux. Bien que l'endroit fît partie du domaine de l'habitation Anse-Turin où le hobereau Granier de Cassagnac avait généreusement accueilli le peintre, personne n'avait cherché noise au héros de l'aventure mexicaine. On se souvenait encore de l'enthousiasme qui avait saisi la population lorsque, en 1862, la flotte française avait fait escale à la Martinique deux mois durant. Tous ces défilés, ces bamboches où se mêlaient amiraux, capitaines d'artillerie et membres de l'aristocratie créole, et puis ces appels à l'engagement ! Sur chaque place publique, des marins prestancieux tenaient de grands livres sur lesquels ils inscrivaient à la plume d'oie les noms des intrépides qui avaient choisi de se faire enrôler. Et ces derniers d'entonner le poème spécialement conçu pour la circonstance par l'éminentissime Eugène Agricole :

Partons pour le Mexique,
Jeunes gens, braves cœurs,
De notre Martinique
Oublions les douceurs,
Sous les drapeaux de France
Que couvrent les lauriers,
Le cœur plein d'espérance,
Suivons nos vieux guerriers !

« Dès le départ, je n'y avais vu qu'une pure folie, confia Cassagnac à Gauguin. D'autant que c'était là nous priver de bras dont nous avions un impérieux besoin pendant la récolte. Mais vous savez, mon cher, ce que l'Empereur veut, Dieu le veut, disait-on à l'époque. Hon ! »

Les enrôlés pour le Mexique étaient revenus en guenilles, leurs figures couturées d'affreusetés, de marques d'infamie. À celui-ci manquait un bras, à tel autre une jambe ou encore les deux oreilles, ce qui était plus drôle. Ils s'en étaient allés les yeux à hauteur de l'horizon, vantardisant dans tous les caboulots de Saint-Pierre et de Fort-de-France : « Le Mexique, pff ! C'est juste de l'autre côté de la mer des Caraïbes. On n'en fera qu'une bouchée ! », et s'en étaient retournés le regard ennuagé d'une terreur sans nom. Ceux qui n'avaient pas pris part à cette folle équipée les reçurent comme des gueux et décrétèrent que, désormais, Napoléon serait appelé du doux sobriquet de « Peau d'oignon ». La plupart des anciens combattants faisaient donc pâle figure, sauf Lafrique-Guinée, ce bougre à la membrature de géant, qui, avant l'expédition, vivait de rien, refusant net-et-propre de s'embesogner pour le compte des Grands Blancs dans les champs de canne à sucre. Au jour de l'abolition de l'esclavage, une vingtaine d'années plus tôt, il avait stupéfié les fonctionnaires de l'état civil en récusant un à un les noms qu'ils lui choisissaient, au hasard, sur un calendrier ou dans le Panthéon de la Grèce antique et avait réussi, par on ne savait quel miracle, à leur imposer celui, doublement provocateur aux yeux des gens de bien, de Lafrique-Guinée.

Le géant avait ramené du Mexique, outre ce chien qui n'aboyait jamais et semblait ne dormir qu'au midi du jour, un lot de mystérieux pouvoirs qui avait fait de lui, très vite, le pratiquant de séances divinatoires le plus renommé de tout le nord de la Martinique. Il était même réputé posséder une deuxième Bible, exact contraire de celle des chrétiens, ouvrage que personne n'avait jamais été autorisé à approcher.

La première fois que Gauguin avait vu l'homme laver son chien, il en était resté bec cloué. Lafrique-Guinée s'appliquait à frotter la peau luisante de l'animal à l'aide d'un mélange d'eau de mer, de citron vert, d'herbe-siguine et surtout de safran qu'il nommait « mandja » à la manière des Indiens coulis, ces créatures taciturnes venues du pays tamoul qui formaient un bon tiers des coupeurs de canne de l'habitation Anse-Turin. L'opération pouvait durer un interminable de temps, en fait tant que le gris de la peau du chien ne se mettait pas à briller comme un miroir et que les traits massifs de son maître ne s'y reflétaient pas. Ce dernier usait d'un mouchoir de soie pour l'astiquer et, très fier du résultat, entrevisageait le monde d'un air goguenard.

Le peintre avait bien tenté d'engager la conversation avec lui, mais n'avait obtenu pour toute réponse que des grognements ou des rires insolites. D'aucuns expliquaient le mutisme de Lafrique-Guinée par la trahison d'une fiancée qui n'avait pas eu la patience d'attendre son retour des Tierras calientes. Cette créature était si belle, assurait-on, qu'au jour de sa naissance le soleil n'osa se lev...
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