De battre mon coeur n'a jamais cessé, mémoires
EAN13
9782841878512
ISBN
978-2-84187-851-2
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
POLITIQUE, IDEE
Nombre de pages
592
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
808 g
Langue
français
Code dewey
324.244

De battre mon coeur n'a jamais cessé

mémoires

De

Archipel

Politique, Idee

Indisponible
DU MÊME AUTEUR

Le Sens du réel, Grasset, 1971.

Propositions pour reconstruire l'école, Éditions sociales, 1973.

Liberté, Grasset, 1975.

Programme commun : l'actualisation à dossiers ouverts, Éditions sociales, 1977.

Le Grand Défi, Éditions sociales, 1983.

Autocritiques, Grasset, 1985.

Les Communistes et le Cadre de vie, Parti communiste français, 1976.

Fraternellement libre, Grasset, 1987.

Pour une alternative verte en Europe, avec I. Stengers, C. Antunes, P. Kemp et al., La Découverte, 1990.

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eISBN 978-2-8098-1303-6

Copyright © L'Archipel, 2006.

Les fanatismes résistent, les préjugés résistent, la fausse science résiste, la fausse autorité résiste, la prospérité à base de fange résiste, le bonheur de quelques-uns résiste, le parasitisme résiste, la bêtise résiste, les opacités résistent, les immobilités résistent, les ténacités résistent, le mal résiste, le doute résistent, l'ironie résiste, la pourriture résiste, l'or et l'argent résistent, l'oisiveté résiste, le contentement de ce qui est résiste, les ornières résistent, les idolâtries résistent, les marcheurs à reculons résistent, le passé résiste, l'avenir, lui-même, dans une certaine mesure, résiste. Éclore est une fracture, croître est un effort... Cela doit céder, et aller, et avancer... Il faut cette poussée énorme.

Victor Hugo
(William Shakespeare, Marges)

Avant-propos

Vaclav Havel, son chien et Mikhaïl Gorbatchev

Davantage de pain !
Davantage de lait !
[...]
Davantage de liberté !
[...]
Davantage de vie !

Wolf BIERMANN,
Seul celui qui change reste fidèle à soi, 1990.

Dira-t-on jamais assez le rôle des promeneurs de chien dans la chute du communisme historique ? À la fin de 1981, en Pologne, la loi martiale abattue sur le pays par le général Jaruzelski, ces noctambules ont contribué, dans les cités et les quartiers, à rétablir en secret contacts et réseaux de l'opposition... À Prague, en avril 1987, Mikhaïl Gorbatchev, parvenu depuis un an au pouvoir suprême en Union soviétique, rend visite au Numéro un tchécoslovaque, Gustav Husak, que son prédécesseur Leonid Brejnev a installé près de vingt ans auparavant. Le leader de la Perestroïka à son apogée, le proconsul de Tchécoslovaquie en bout de course. Ce soir-là, il peut être 21 h 30 ou 22 heures. Dans le noir, près du Théâtre national où les deux dirigeants ont assisté à un gala, une noria de voitures sombres, le gratin du régime, une nuée de policiers. Les Praguois, comme les Parisiens, badaudent. Et puis, Mikhaïl Gorbatchev, qu'on le veuille ou non, c'est un espoir. Il y a là, sur la place pavée, quelques centaines de personnes.

Tout à coup, un remous agite l'attroupement. Gorbatchev sort, son épouse Raïssa à son côté. (« Le tsar et la tsarine », me confieront trois ans après, déçus, des mathématiciens moscovites proches d'André Sakharov, l'icône des dissidents.) Les titis praguois acclament le couple présidentiel. Gorbatchev aime les bains de foule. Il s'avance. Pour la circonstance, les policiers, ordinairement du genre pit-bulls, se sont mués en gentils soldats Chveïk. Des civils font la claque.

Or, dans la petite foule, il se trouve un Praguois qui habite près du Théâtre national et qui est sorti promener son chien. Ce n'est pas n'importe qui : c'est Vaclav Havel, dramaturge contestataire. Dans la lutte fiévreuse qu'il soutient contre le régime communiste, il alterne depuis des années les séjours dans les prisons de la Sécurité d'État et les libérations provisoires. Dans cette foule, il est anonyme, esseulé. Aucune de ses pièces n'a été jouée dans son pays depuis l'écrasement du printemps de Prague, en août 1968. Dieu seul sait quel diable l'a poussé là.

Mikhaïl Gorbatchev, « tsar de la Perestroïka » (Havel dixit), au faîte du pouvoir et des honneurs, marche vers le dissident. Vaclav Havel, au tréfonds des avanies, n'est aux yeux de l'illustre visiteur qu'un Praguois inconnu que le hasard a jeté sur son chemin. Un instant leurs regards se croisent. Gorbatchev sourit. Chose singulière : Havel, selon le récit de l'incident qu'il fera plus tard avec humour, rend salut et sourire.

« Mon sens de la courtoisie, s'excusera-t-il, fonctionne plus vite que mon sens politique. »

Mikhaïl Gorbatchev s'engouffre dans sa limousine. Démarre en trombe. Les badauds se dispersent. Vaclav Havel ramène son chien au gîte.

Qui eût pu imaginer qu'au vent de l'histoire, deux ans plus tard, Gustav Husak serait déchu et son régime balayé ; que Vaclav Havel deviendrait président de la République tchécoslovaque ; encore plus fort, que Gorbatchev perdrait le pouvoir sur une Union soviétique qui a été la deuxième puissance mondiale et qui se décompose ?

Au XXe siècle, le communisme a mobilisé des foules aussi nombreuses et ardentes que les religions monothéistes pendant deux millénaires. Les œuvres de Marx, celles de Lénine, de Staline, de Trotski, de Mao Zedong ont été au moins autant diffusées que la Bible et le Coran. Un grand nombre d'intellectuels de premier rang, des poètes de toutes langues qui ont fait percevoir à l'humanité à quel degré de beauté, de bonté, de rêve elle est capable d'atteindre, ont, à un moment de leur vie – on l'oublie souvent –, travaillé avec les communistes, cherché chez eux une source d'énergie et un sens.

La révolution russe de 1917 était censée, même aux yeux des personnes les plus éloignées du communisme, avoir fait tourner la roue de l'histoire sans qu'elle puisse jamais revenir en arrière. Je me revois un jour de novembre 1945, après la victoire sur Hitler, devant un monument aux morts des guerres mondiales : je chante avec mon père ce qui était alors l'hymne soviétique, au son de la fanfare du régiment d'infanterie de ma ville natale :

Durable est l'union des libres républiques
Scellée à jamais par la grande Russie
Puissante indivise est l'Union soviétique...

Moins de cinquante ans après, le parti communiste a perdu le pouvoir en Russie. Les Républiques soviétiques, les États satellites ont été emportés comme des feuilles mortes. Démâté, démembré, ce territoire étendu sur un sixième du globe est (re)venu du « socialisme » au capitalisme. La plupart des partis communistes de la planète sont en voie de disparition. Ont-ils un futur ? Que devient la Chine ? L'effondrement du communisme historique est l'un des plus grands effondrements politiques, le plus grand peut-être, de tous les temps.

De mon adhésion au PCF (Parti communiste français) jusqu'à cette chute, trente-sept années se sont écoulées, que j'ai vécues au cœur du combat. Et pourtant je me vois distinctement, comme si cela datait d'hier, assis, tout ému, dans un café de la rue Gay-Lussac, au Quartier latin. S'y réunissaient, en 1953, de jeunes universitaires, mes condisciples, dont plusieurs allaient marquer la pensée française et qui constituaient alors la cellule communiste de l'ENS-rue d'Ulm. À cette époque, il y avait une cellule même à Polytechnique. Staline mort depuis quelques semaines, j'entrai au PCF, non sur un coup de tête, mais, après réflexion, comme on régularise un concubinage. Depuis dix ans – la guerre, la Résistance, la Libération, le refus des guerres coloniales, l'appétit de justice –, tout me poussait vers ce choix. J'étais combatif, inébranlable, enivré d'idéal.

Aujourd'hui, plus aucun d'entre nous n'est membre du parti. La plupart l'ont quitté bien avant moi.

Des millions de pages ont été écrites sur ces événements planétaires auxquels j'ai été mêlé. En elle-même, ma vie vaut peu la peine d'être écrite. Seulement, je veux témoigner de cette Iliade qui a traversé le siècle passé. Témoigner de notre tragédie, où le sens que nous pensions donner à nos actes nous est revenu faussé, dévié, pollué, truqué.

Tout homme ne tend-il pas, vers la fin, à reconstruire sa vie à bon compte, en y mettant plus de continuité que de contradictions ? Je ne suis pas certain d'échapper entièrement à cette illusion d'unité, insidieuse et incons...
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