Le retour en français d'un auteur culte
Brian Evenson est nimbé outre-Atlantique de l'aura sombre caractéristique des auteurs de fiction horrifique les plus cultes : ancien mormon, exclu de l'université Brigham Young où il enseignait en raison du contenu dérangeant de ses romans, il a signé de son nom de nombreuses œuvres qualifiées de "weird fiction", littéralement de la fiction étrange, bizarre.
Le narrateur de l'Antre a toujours vécu dans un souterrain, isolé du reste d'un monde qu'on devine dévasté et inhabitable, peut-être notre Terre dans un futur post-apocalyptique. Ce qu'il sait de son environnement et du monde extérieur est un mélange de présupposés empiriques et d'informations fournies par un terminal informatique aux fichiers corrompus. La raison de sa présence en ces lieux s'est perdue depuis des générations, et son seul objectif est de survivre suffisamment longtemps pour acquérir du "matériau" qui permettra de poursuivre le travail un peu plus longtemps... Le narrateur se définit comme un humain, mais son terminal informatique ne semble pas d'accord avec cette affirmation. Alors qui est-il ? Et où se trouvent les humains ?
Le récit est savamment construit, surprenant à plusieurs niveaux, et joue sur l'ambiguïté pour tenir le lecteur en haleine tout du long. Est-on sur Terre, ou ailleurs ? L'extérieur de l'Antre est-il nocif seulement pour le narrateur, ou pour tout être vivant ? Quelle est la nature de ce "matériau" si rare et précieux, et quel but sert-il ? Dans le récit d'Evenson, ce qui est pour le personnage une évidence se passant d'explication est pour le lecteur source de chausses-trappes et de malentendus. Ce qui est enoncé comme une vérité générale pourrait être un mensonge, ce qui paraît être une mensonge peut être une vérité si simple qu'on passe à côté. Pas étonnant que l'auteur ait dédié le livre à Gene Wolfe, auteur passé maître dans l'art de l'illusion !
Un récit de très haute volée.
Au départ : Arturo Pomar, jeune espagnol porte drapeau de l’Espagne Franquiste contre Bobby Fischer, (genie americain porte voix d’un capitalisme fulgurant) en 1962 à Stockholm.
Retour en arrière! Quelle fut la vie de ces deux grands joueurs?
Arturo Pomar, le premier grand maître international d'échecs espagnol ( la machine à propagande est parfaitement huilé pour promouvoir la grandeur du Franquisme) et Bobby Fischer, révolutionnaire dans le monde très classique de l’époque.
Mais si la vie de ces deux grands joueurs est le fil conducteur de ce roman, c’est surtout dans le contexte d’époque : La Guerre Froide est à son apogée, les deux camps se regardent, le doigt sur le bouton. Et ce sont les pions qui vont jouer les coups importants pour remporter ce conflit. Devoir se sacrifier pour une cause, un objectif dans l'idée de se finir en Dame. Sauf qu'ils sont peu à traverser le plateau. Beaucoup à disparaitre sous la torture, la mort, la trahison dans l’abyme de l’oublie
C’est un roman sur Arturo, la guerre froide, les échecs, de pions-espions, de pions-héros, de grands maîtres internationaux qui vont changer à tout jamais les ouvertures.
Le petit détail en plus est le nom de chaque chapitre (77 exactement) : le coup joué pendant la célèbre partie.
Le Prodige
Comment j ai acheté un génie du foot pour décider de son avenir sportif (et devenir riche)
One-Shot
De Juan Pablo Meneses
Traduit par Guillaume Contré
Marchialy
Rond comme un ballon, Et plus jaune qu'un dollar, c'est le footballeur.
La définition de L'Argentine par Juan Pablo Meneses est simple : Viande, Foot et Religion. Pour (Dans) son premier roman, il achetait une vache pour suivre (la) sa vie de (ce) bovin jusqu' à sa mort ; en bondissant ici et là sur la vie culturelle, sociale et économique de l' Argentine.
Le Prodige, deuxième opus de sa trilogie gonzo journalisme, va se pencher sur le deuxième sujet cité plus haut: le Foot! (Enfin, surtout ceux qui en font). Juan décide d'acheter un enfant (jeune, il faut qu'il ait moins de 10 ans) pour pouvoir analyser toute la structure étonnamment complexe du football mondial.
Et vous allez vous rendre compte lors de la lecture que l'esprit sportif a depuis longtemps disparu des institutions : corruption omniprésente, des agents pas vraiment empreints d'humanité, un brassage quotidien de millions de dollars, des gamins poussés par leur famille pour être le futur Messi et pouvoir enfin mettre la daronne à l'abri.
Rien n'est vraiment simple et même si on a horreur du foot (c'est aussi une excellente façon de voyager en Argentine ou en Amérique du Sud), on est accroché par un destin qui peut frôler les étoiles ou disparaitre dans l'anonymat sportif le plus total.
John le Carré tire sa révérence avec élégance
Si John le Carré, figure tutélaire du roman d'espionnage anglais, est mort en 2020, il a laissé derrière lui une masse de documents que s'est consacré à trier son fils Nick Harkaway, lui-même romancier émérite.
Le moins qu'on puisse dire c'est que jusqu'à présent Harkaway s'est montré très respectueux de l'oeuvre de ce père qu'il admire, ne cédant pas à la tentation d'éditer des fonds de tiroir à peine terminés. En lieu et place, il a mis la touche finale au manuscrit de "SILVERVIEW", ou "L'Espion qui aimait les livres", un texte maintes fois remanié par le Carré et quasiment achevé à sa mort.
Pour un manuscrit en gestation depuis des années, ce roman est pourtant l'un des plus faciles d'accès de son auteur habitué aux intrigues labyrinthiques. L'histoire est celle d'un ancien trader ayant renié sa vie de richesses pour monter une librairie indépendante. Mais, comme votre librairie de quartier pourra vous le dire, tenir une librairie, même quand elle est perdue au milieu d'une province anglaise peuplée de retraités, ça n'est pas une mince affaire, et notre héros aurait bien du mal à s'en sortir sans l'aide d'Edward, aimable vieillard qui offre gracieusement son érudition et son enthousiasme. Mais l'aide d'Edward est-elle vraiment désintéressée ?
A l'inverse d'autres roman de John le Carré, ici l'identité dudit "espion" est claire dès le début. Le lecteur sait en entrant dans l'histoire qu'Edward est probablement un agent double traqué par ses anciens collègues. Ce n'est pas dans cette révélation que repose l'intérêt de ce roman, mais plutôt dans ce qui a pu pousser l'idéaliste Edward à changer de camp, et comment des individus ayant consacré leur vie à un pays peuvent, au crépuscule de leur vie, repenser leur conception de la loyauté.
Un excellent roman doublé d'une bonne porte d'entrée dans l'univers de John le Carré.
L'irrésistible ascension de Claire North !
Après "84K" l'année dernière et la publication en série de "La Maison des Jeux", il semblerait que les éditeurs français aient remarqué le potentiel de Claire North, autrice britannique très prolifique.
On a ici affaire à la réédition d'un texte plus ancien, qui avait contribué à placer North sur la carte des auteurs à suivre : l'histoire étrange de Harry August, qui tel un Bill Murray revit sans fin les mêmes événements... Sauf que dans ce cas de figure, c'est toute sa vie qu'il faut revivre, renaissant invariablement le même jour, des mêmes parents, pour mourir à peu près au même âge.
Utilisant ce pouvoir et cette malédiction pour vivre une myriade d'existences et assouvir sa curiosité, Harry découvrira qu'il n'est pas seul : d'autres comme lui ont appris à supporter le poids d'une destinée toujours effacée, toujours recommencée. Certains s'adonnent à un hédonisme nihiliste, d'autres choisissent d'oublier, pour revivre chaque existence plus intensément. Il y en a, enfin, qui enfreignent les règles pour modifier le cours de l'Histoire...
L'idée est connue, les règles de l'univers sont originales, et l'histoire est prenante. En mélangeant allègrement les vies de son héros et en réussissant à créer des enjeux dans un récit où chaque existence est effacée à heure fixe, Claire North a signé un roman de science-fiction infiniment divertissant.