Amour en super 8
Entre la Syrie, le Liban et la France, Georgette occupait le rôle de bonne, mais sa fonction dépassait largement cela pour une fratrie pendant près de 20 ans.
Elle supervisait les rituels du quotidien, devenant indispensable et invisible, restant socialement confinée au statut de domestique.
L’auteur, dans un récit nostalgique et clairvoyant, dépeint la routine d’une famille à travers des séquences filmées et l’empreinte omniprésente de Georgette. Dea Liane explore des souvenirs et moments partagés, faisant une autopsie minutieuse du dévouement à la famille, de cet amour clandestin qui se tisse avec les enfants, et de la dualité temporelle de deux langues parlées.
Quand l’enfance s’éloigne, la prise de conscience des différences de classes induit un sentiment d’amour égaré, puis d’abandon et de lâcheté.
Un hommage poignant à l’égard d’une « fille » dévouée.
« Georgette vivait en effaçant ses traces. Sa discrétion était prodigieuse et inquiétante
L’amour, pacte pour la vie et la mort
Inspiré d’un fait réel, ce roman raconte le suicide collectif de Erza et Maud, une grande histoire d’amour de 70 ans qui s’arrête, laissant à leur fille un héritage singulier, la jouissance de leur maison-paysage « Les Bulles ».
Ces parents libres, fantaisistes et audacieux, au droit immuable à disposer d’eux-mêmes, ont planifié sans considérer leur fille, la spoliant de les prendre en charge.
L’auteur décrit parfaitement les sentiments d’Éléonore, à la fois triste, agacée, pour qui le sentiment d’abandon s’ajoute aux nuits hantées par leurs dépouilles, faisant de la signature de la succession une question de temps et d’orgueil…
Et si ce départ programmé pouvait être considéré comme un geste admirable de courage pour épargner les plus jeunes ? Peut-on s’opposer au droit de mourir ? La mort pourrait devenir l’affaire des morts…
« Mes parents ne m’ont pas protégé de leur couple... Il n’y avait pas de place pour moi dans leur histoire »
« Des parents qui vous tournent le dos, c’est un abandon dont on ne se remet jamais »
La Tasmanie pour sauver sa peau
En 2015, à Paris, au lendemain des attentats islamistes, se déroule un sommet climatique majeur. Le narrateur, écrivain et journaliste, couvre l’évènement dans une ambiance anxiogène.
Le narrateur fait un parallèle entre cette situation tendue et les particularités de son propre couple.
Les personnages qui gravitent autour de lui, singulièrement choisis, captivent par leurs trajectoires uniques (physicien audacieux, climatologue des nuages, reporter borderline, prêtre à la dérive).
Ce roman contemporain, à la fois intime et planétaire, met en scène des chercheurs nomades risquant leur vie. Il explore les souvenirs et les conséquences de Hiroshima et Nagasaki sur les corps survivants des années après, les pires ravages à ce jour et la crainte des radiations, l’inquiétante question du futur…
L’auteur jongle d’une part avec une lucidité fataliste face à l’inéluctable réchauffement de l’écosystème, d’autre part avec la fantaisie narrative dans la description de l’entourage et du quotidien du narrateur.
La lecture est rythmée, ponctuée de passages captivants, plongeant au cœur de sujets bouleversants.
Un roman intelligent, réfléchi et vivant.
« Lorenza et moi ensemble ne laisseront pas plus de traces que les atolls engloutis »
« Un monde où l’on meurt de soif d’un côté et où l’on se noie de l’autre »
Ne laisse jamais personne t’arracher les ailes
Italie, fin de l’Inquisition.
Susanna et Daniele grandissent ensemble au monastère de Santa Ulpizia, enfants au parcours hors du commun. À l’âge adulte se tient le procès de Susanna accusée d’avoir tué son mari, défendue avec brio par Daniele.
La sorcellerie condamnée au bûcher occupe une place prépondérante dans ce roman historique et thriller amoureux.
Portrait captivant d’une jeune femme érudite et indépendante, dotée d’un sens inné de la justice, devenant la voix du peuple, ébauchant la cause féminine,
Luca Di Fulvio transporte le lecteur dans une époque marquée par l’hérésie. Il nous offre une description incisive de l’Église conservatrice et hiérarchique du XVIIe siècle, dévoilant sa perfidie, sa cruauté et son sexisme. Il nous accompagne dans les méandres d’une procédure à imprévus, servie par des personnages d’une envergure saisissante.
Cet écrivain va décidément nous manquer…
« Ma plus grande faiblesse, c’est de ne pas avoir la force ni le courage de poursuivre la liberté »
Vers le monde d’Après
L’histoire de Nathan, professeur d’université toxicomane vivant dans la spirale de sa consommation solitaire.
L’histoire de Jeanne, actrice pornographique, elle aussi toxico, ayant tourné le dos à sa pathétique famille bourgeoise et dont le métier plonge le corps dans la confusion du faire semblant.
L’histoire de leur rencontre : Récit oscillant entre tragédie et bonheur, une confrontation violente aux tourments de l’addiction et sa façon de congédier le réel. La rencontre de Jeanne et Nathan réinvente le combat contre la dépendance.
Leur scène d’accouplement est anthologique, la fin poétique et bouleversante.
L’auteur joue avec les mots et avec les contrastes de situation pour notre plus grand plaisir et se distingue par son audace et sa perspicacité.
À découvrir.
« Nathan et Jeanne ricochaient dans la ville avec cette légèreté mystique propre à la vitesse du son »
« Tout pouvait, devait repartir à zéro. Un baiser éclipsa la vanité du monde »
« Dans le débarras attenant à l’écurie, ils dénichèrent de quoi faire une scène de ménage : deux anciens balais au manche de bois et à la crinière jaune »
« Ils sont anonymes, des ombres aux verges sinueuses qui la déchirent. Jeanne est une usine à souffrance, elle fabrique son cadavre »