Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Comment les citoyens changent le monde (Nouvelle édition augmentée)

Éditions Les Liens qui libèrent

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
25 mars 2017

Comment quitter -ou du moins s'éloigner d'une société libérale basée sur l'économie de marché dérégulée, sur la croissance sans limites et l'exploitation de la nature, sur la force de la finance, sur l'individualiste et le consumérisme ? Par l'action politique, bien sûr. Mais aussi par une action citoyenne pragmatique qui change les choses autour de soi, avec l'énergie que procure la certitude qu'on peut ainsi changer le monde.
Pour cette deuxième édition, Bénédicte Manier a continué de parcourir plusieurs pays pour découvrir et décrire des initiatives de la société civile, des initiatives citoyennes améliorant le quotidien des personnes les plus proches d'un quartier, d'un village, d'une ville et même de milliers de personnes
Face à l'impuissance des politiques et des institutions à trouver des solutions à des problèmes très concrets, des habitants décident de les régler eux-mêmes, en se réappropriant l'eau qui leur manque, en pratiquant une agriculture urbaine, en inventant de nouveau modes de vie : consommer local, covoiturer, rejoindre le mouvement slow, créer des coopératives de consommateurs, des épiceries solidaires, des Amap, de l'auto-construction. Ils mettent en commun leurs connaissances : c'est le mouvement OpenSource, Wikipédia , la cartographie avec OpenStreetMap, les logiciels libres, le label Creative Commons. Ils se lancent dans la finance éthique, l'épargne solidaire, les banques coopératives, les mutuelles, cherchent des modes de gouvernances locales qui laissent la place aux avis des citoyens. Des collectifs investissent dans la production d'énergies renouvelables, solaire, éolien ou par méthanisation.
Dans ce monde en crise, on voit bien que certains perçoivent plus que d'autres que la planète est en crise, qu'il faut laisser là où elles sont les énergies fossiles, et même que l'humanité peut disparaître. Ils décident de gérer eux-mêmes leur situation en choisissant la coopération, la sobriété, l'économie du partage et du don, une réelle solidarité, le respect de l'environnement.
Dans une courte postface, Patrick Viveret donne son analyse du modèle actuel de développement et met en avant quelques conditions pour que ces mutations atteigent une masse critique
On sera surpris par l'ampleur du phénomène en Inde, en Afrique, aux USA, en Amérique du sud, ce qui tend à prouver que cet autre monde, loin d'être une utopie, est déjà en marche.
On pourra regretter que Bénédicte Manier ne soit que rarement critique sur la cohérence et la validité à long terme de quelques actions et projets, qu'elle ne pose pas la question de la limite, qu'elle ne s'inquiète pas de puissance du monde néolibéral et financier qui ne manquera pas de réagir avec brutalité si leurs positions étaient attaquées.
Mais ce livre est une grande enquête dûment documentée, une lecture vivifiante et qui aère l'esprit, qui donne espoir et envie de rejoindre ces tranquilles révolutionnaires.

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
22 mars 2017

Gilda, quarante ans, tombe raide amoureuse. Elle prétend que c'est enfin le grand amour, le seul, le vrai, qu'elle a rencontré l'homme parfait. Dans ce domaine de l'amour, elle a pourtant connu de beaux échecs, qui ne suffisent pas à la prévenir des variations de l'amour. Elle n'écoute ni ses copines qui tentent de la tempérer, ni cette Lady, sorte de double d'elle-même, qui cherche à ralentir sa fougue. L'Amoureuse se décide même à écrire un traité sur l'amour qui serait une somme de conseils inspirés de son idylle…
Le roman est dans un style rythmé, enlevé, ironique. Le lecteur se doute que son histoire va foirer alors qu'elle espère le plaisir de l'amour envers et contre tout, ce qui est plutôt plaisant.
C'est le bon roman à lire pour ôter le gris d'un jour de pluie.

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
14 mars 2017

La galerie de personnages de ce gros roman est importante et imposante. À elle seule, elle laisse imaginer que le roman n'est pas à laisser passer...
- Ranko, alias Le Gecko, est un grimpeur de grande classe capable d'escalader les façades les plus lisses pour aller faire des cambriolages sans laisser aucune trace. Il est serbe, meurtri par la guerre. C'est un homme qui aime le beau, un solitaire, un taiseux, un homme fidèle.
- Stephan Suarez est le commandant du groupe casse de la Brigade de répression du banditisme, un flic fasciné par Le Gecko, capable de consacrer toute sa vie à le pister.K Capable, aussi, d'offrir à la femme qu'il aime, un voyage érotique dans un hélicoptère en vol simulé.
- Astrakan est le chef de clan, oncle de Ranko. Il sait commander et rester dans l'ombre. Très généreux quand il est amoureux, et très brutal avec ceux qui s'écartent de sa ligne.
- Ylana est une très belle femme, une ancienne patineuse artistique. Maîtresse soumise d'un riche saoudien, elle s'en libérera et deviendra le grand amour d'Astrakan.
- Enki Bilal, l'artiste dessinateur de bandes dessinées, a inventé le chessboxing dans "Froid équateur". Yalana aime beaucoup son oeuvre.
- Des hommes de main redoutables à ne pas croiser le soir : BrainMan, Miko, Redi. Des comparses rusés comme la Sangsue.
- Un blessé grave, Carmel Gheda, qui fait partie de l'histoire du couple de Suarez et Tamara. Et un médecin Denis Safran, qui travaille avec la BRB et les Pompiers de Paris.
- Une belle équipe de policiers, et leur mascotte, un gris du Gabon.
Et tant d'autres, une grosse cinquantaine...
Pour ce qui est des événements, il y a aussi ce qu'il faut :
D'abord une attaque éclair à l'entrée de Paris, d'un riche saoudien et de ses bijoux qui disparaissent complètement. Un chauffeur sera grièvement blessé et une femme disparaît. L'enquête de Suarez et de son groupe démarre lentement,les indices sont rares. Puis Ylana est repérée comme ayant été dans le convoi. Les filatures produisent peu à peu des indices.
Il y a des règlements de comptes, une promenade en forêt spéciale, impressionnante et effrayante.
Il y a les promenades du Gecko sur les toits de Paris, mais pas que... Lorsqu'il va cacher son butin au haut du piler d'un pont, il est pris en filature par Myriam et Greg qui, ahuris, le voient faire son jogging sur une barrière de sécurité.
Il y a ce combat de chessboxing (un sport hybridant boxe et échecs) que propose Astrakan à Ranko en lui offrant un magnifique jeu d'échecs, afin de trouve l'adresse de l'atelier d'Enki Bilal pour y aller voler quelques oeuvres d'art. Ranko s'entraîne avec Cédric, un coach qui lui apprend à se maîtriser pour récolter des informations et pouvoir cambrioler le dessinateur.
Il y a encore un autre cambriolage à la demande de son fourgue, avec une belle escalade, très risquée.
Tout au long de roman très noir, la question se pose de savoir si Ranko chutera, au propre ou au figuré, si Suarez réussira à le prendre en flagrant délit, si Ylana occupera son esprit avec assez de densité pour qu'il perde ses moyens...

Le roman est d'une grande réalité. Ingrid Astier s'est longuement documentée, a rencontré des gens qui ont inspiré ses personnages, s'est immergée dans le quotidien de la BRB pour mieux nous plonger dans un réel retravaillé par son écriture et son imaginaire. Le lecteur évolue dans un Paris bien réel, sur des toits où l'on croise le freerunner Simon Nogueira, dans l'atelier de Bilal, passe près de l'organiste Jean Guillou... Le lecteur est toujours sur le fil entre fantasme et réalité, entre ciel et terre, entre violence et douceur, entre haine et amour, entre dureté et tendresse, entre vie ordinaire et actes de courage, entre liberté et pesanteur. C'est un roman de l'équilibre et une géographie des sentiments, de l'amour surtout.
On ne parlera pas d'intrigue parce qu'il y en a plusieurs. En fait, ce roman n'est pas un polar de plus, c'est une histoire de violence, de guerre, d'amour, un combat continuel que figure le chessboxing, un combat qui offre à la réalité de s'ouvrir au rêve, à la contemplation, à la compréhension, à la liberté. Tout ceci dans une superbe écriture et un suspense qui ne cesse pas.
Je le redis, ne passez pas à côté de ce roman...

analyses convivialistes

Presses universitaires de Rennes

20,00
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
9 mars 2017

Souvent, on dit qu'il faut changer. Changer la vie, changer le monde, changer le capitalisme, changer d'énergies, changer de façon de vivre. Souvent, on estime que l'on est au bord d'une crise majeure, ultime, que tout va s'arrêter...
Mais si tout change, si tout s'arrête, que se passe-t-il ? Le monde s'effondre et l'humanité bascule dans des affrontements barbares ?
Le mérite de cet ouvrage, qui est un recueil des interventions du colloque des convivialistes à Rennes en octobre 2015, est de penser un autre monde. Les convivialistes pensent que le monde n'est pas prisonnier du cadre néolibéral, que le capitalisme est pas une fatalité. On peut penser autrement et il est temps de procéder à la reconstruction de la société. Visant une société du "bien vivre", ils proposent des analyses, des principes qui constituent le socle d'une autre société, qui conserverait et irait au-delà des idéologies politiques dont nous sommes les héritiers. Les intellectuels du mouvement convivialiste se sont attachés à décrypter les dysfonctionnements du politique, de l'économie, de l'éducation, de la mesure des performances, de la finance, des modes de gouvernance. Après quoi ils posent les principes d'une société où l'implication citoyenne serait encouragée et reconnue, où les dynamiques ne seraient plus fondées sur les fluctuations du marché mais sur le désir de vivre ensemble, en paix avec les autres hommes et la nature, où les désirs personnels seraient compatibles et respectueux de la dynamique collective, où la poursuite du bien commun serait inlassable et infinie.
Une utopie, peut-être, mais qui oblige à penser cet autre monde à le prévoir, à l'attendre activement, plutôt que de se laisser surprendre par une crise que nous n'aurions pas prévu et un monde que nous n'aurions pas souhaité.
Des actes de colloque de lecture aisée. Des propositions stimulantes. À lire pour cesser de déprimer...

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
12 février 2017

On a entendu parler de ces vidéos tournées clandestinement dans des abattoirs pour montrer la des violences faites aux animaux. Geoffrey Le Guilcher a voulu aller voir "ces hommes en combinaisons tachées de sang qui les pendent à des crochets. Qui sont-ils ? Combien d'entre eux commettent des violences ? Comment vivent-ils leur danse quotidienne avec la faucheuse ? Méritent-ils la haine populaire ? " Il a voulu "aller voir si ces usines à viande ont enfanté des hommes-monstres".
Le journaliste a modifié son nom, son apparence et son CV et s'est présenté dans un abattoir industriel, en Bretagne, qu'il a nommé Mercure. Avant d'être embauché en intérim, il a visité l'usine accompagné par une guide qui a vérifié qu'il supporte la vue du sang, les odeurs, la chaleur, le bruit et qu'il n'a pas le vertige. Affecté au parage des bovins, c'est perché sur une nacelle qu'il dégraisse les carcasses coupées en deux et décapitées qui circulent sur la chaîne. Les ouvriers tuent, découpent, parent emballent entre 55 et 63 bêtes par heure, soit 600 bovins par jour. Les mêmes gestes sont effectués des milliers de fois par jour, ce qui provoque des crampes, des tendinites, des mal au dos signalant l'usure inexorable des cervicales et des lombaires. "Les ouvriers connaissent les chiffres correspondant à leurs disques, à leurs lombaires, à leurs os, tendons et cartilages, tous les morceaux de leur corps abîmé". Même si l'abattoir a investi pour améliorer l'ergonomie des postes de travail, celui-ci reste pénible, dur, usant. Par exemple, les ouvriers se plaignent des couteaux mal affûtés par un robot acheté 180 000 €, ce qui les oblige à forcer pour tailler la viande et, à la longue, provoque des doigts qui se crispent, des douleurs aux coudes et aux épaules. Tous ont des TMS (troubles musculo-squelettiques) que ne calment pas les pommades et les kinésithérapeutes. Beaucoup terminent en maladie professionnelle, malgré les réticences de l'employeur à les reconnaître pour payer moins de cotisations sociales à la MSA (Mutualité sociale agricole). Nombreux sont les hommes qui se considèrent comme "foutus" à des âges divers, parfois dès 45-50 ans, selon le temps passé à l'abattoir.
Alors, pour "avoir le mental", il faut suivre l'avis de Kevin : "Si tu ne bois pas, que tu ne fumes pas, que tu ne te drogues pas, tu ne tiens pas à Mercure, tu craques". L'auteur suit ses collègues dans des week-ends alcoolisés à la fin desquels certains retournent au travail sans avoir dormi. Il rapporte qu'ils consomment quotidiennement des joints ou des drogues plus dures, de la bière et les soirs d'apéro ou les nuits de bringue, du whisky.
Malgré cela, ils tiennent le coup, même s'ils rêvent de partir un jour. Les intérimaires espèrent décrocher un CDI, le contrat qui leur fera gagner un meilleur salaire, un treizième mois, des primes, des cadeaux et leur garantit un changement de poste lorsque le corps deviendra usé.
Quand Geofroy Le Guilcher a effectué sa première visite, il avait vu la tuerie. Quand il a été embauché, un mur la masquait aux regards et aux téléphones portables de visiteurs indiscrets, et encore plus aux militants de L214, une association végane de défense des droits des animaux qui ont publié des vidéos gênantes pour les abattoirs. Il a cherché - et trouvé - un moyen d'aller voir derrière le mur. L'animal arrive du parc dirigé par une première personne, puis une autre l'assomme avec un pistolet qui envoie une barre de métal lui perforer le crâne et la cervelle. L'ouvrier suivant le saigne et vérifie que l'animal est bien mort. Normalement, un deuxième assommeur peut intervenir si l'animal n'est pas mort avant que la découpe commence. Mais le jour il pénètre dans la tuerie, "il n'y en a pas parce qu'il n'y a pas assez de monde en ce moment" lui dit le saigneur. Donc la bête peut ne pas être morte quand la découpe commence... Précisons que le travail à la tuerie est très dangereux, les bêtes s'agitent, se décrochent parfois et les ouvriers peuvent être blessés.
Geoffrey Le Guilcher raconte le travail en mêlant à son récit un apport de documentation, en cherchant à voir et à comprendre ce qui se passe. S'étant embauché pour voir quels hommes sont devenus ces travailleurs, il s'intéresse aussi à la souffrance animale - mais pourrait-il éviter de le faire ? Au terme des six semaines, sa conclusion est formelle : "tant que la cadence sera absurde pour les hommes, il n'y aura pas de viande propre. Tant que les animaux sont abattus en quantité industrielle, comment les ouvriers pourront-ils les traiter autrement que comme de simples numéros ? ". Et de citer Jean-Paul Bigard dont "la politique vise à faire en sorte que le client ne fasse plus du tout le lien entre la vache et le steak", car il faut vendre de plus en plus de viande et "l'occultation totale du sort réservé aux animaux est le pilier de la consommation de viande".
Avant d'être découvert et par respect pour ses collègues, Geoffrey Le Guilcher a démissionné. Il dit ne plus pouvoir consommer autant de viande qu'avant son intérim à l'abattoir. À la fin de son récit, on le comprend. Peut-être ferons-nous plus ou moins comme lui...
Ce témoignage précieux, écrit à la première personne, s'ajoute à celui de Bérangère Lepetit qui a travaillé cinq semaines sur une chaîne d'emballage de poulets près de Quimper(Un séjour en France, Éd. Plein jour, 2015) et à celui de Stéphane Geffroy, employé à la tuerie d'un abattoir de bovins à Liffré (À l'abattoir, Éd. du Seuil, 2016, Coll. Raconter la vie).