Sylvain T.

Conseillé par (Fontaine Luberon)
28 janvier 2020

Nous connaissions le fameux texte de De Quincey, De l’assassinat considéré comme un des Beaux Arts. Il nous faudra maintenant compter avec ce recueil de nouvelles de Jaume Cabré, tout entier imprégné du même lien entre l’art et le crime. En virtuose de la langue, l’auteur du somptueux Confiteor nous embarque dans une danse macabre parsemée de contre-points et de résonances malicieuses à l’architecture baroque où l’être le plus banal peut être un monstre d’une subtile beauté, tant par son geste que par ses mots. Glaçant, troublant, souvent cynique, on ne peut s’empêcher à la lecture de penser à « la terrible, l’indicible, l’impensable banalité du mal » chère à Anna Arendt dont Cabré fait sienne tout en la transcendant par la poésie de sa langue acérée, jusqu’au final laissant le lecteur se demander « pourquoi les histoires de la vie finissent toujours par la mort, comme s’il n’y avait pas, pour toutes les choses, une autre fin possible. » Le poète catalan nous prouve admirablement une nouvelle fois que la Littérature en est une autre possible..

Conseillé par (Fontaine Luberon)
3 juin 2019

En Caroline du Nord, en plein coeur des Appalaches, la rivière qui attire tant de citadins pour la pêche est empoisonnée. La drogue a envahit la ville qui tente par tous les moyens d’endiguer le fléau, où Les le shérif sur le départ, Becky la poétesse garde-faune et Gérald le vieillard amoureux des truites et des rivières se meuvent dans une intrigue admirablement menée par Ron Rash. On retrouve avec joie la pudeur de l’auteur de Par le vent pleuré vis à vis d’un monde en pleine mutation, mais aussi vis à vis des failles de ses personnages. La simplicité de l’intrigue n’en fait que renforcer le message : La cupidité est un des dangers qui menacent la biodiversité. Il nous invite également à « envisager » le monde, à s’émerveiller face au spectacle de la nature à contrario de ceux qui « ne sauront même pas qu’ils vivent dans ce monde ». Poétique tout autant qu’oxymorique, le dernier roman de Ron Rash évoque avec un rare intensité toute la beauté d’une région où les communautés, en proie au délire du profit d’une nation qui les laisse en marge de la société, tentent de subsister.

Barcelone 1714

Actes Sud

12,30
Conseillé par (Fontaine Luberon)
23 avril 2019

Barcelone, 11 septembre 1714. Suite à la mort de Charles II, la guerre fait rage entre les Bourbons et les Habsbourg pour la succession. A l’issu d’un siège d’une année, Barcelone tombe. Les Catalans assistent alors au massacre et au pillage de leur citadelle érigée par Vauban. Une décennie plus tard, Marti Zuvinia, alors en exil, rédige ses mémoires tout en donnant un récit tout à fait personnel du siège. C’est ainsi que s’ouvre Victus. A la fois roman historique et picaresque, la langue érudite de Sanchez Piñol nous embarque dans une monumentale fresque d’un épisode oublié du XVIIIe siècle. Il est aussi l'autobiographie d'un homme qui n'est ni vertueux, ni héroïque, mais un personnage dont le parcours se construit au hasard d'évènements tragiques. Il y a du Gil Blas de Santillane, du Don Quichotte : ses aventures souvent extravagantes se meuvent dans de caustiques tableaux de moeurs tout en nous offrant une radiographie de toutes les couches de la société barcelonaise de l’époque, où la plus noble n’est pas celle que l’on croit… Lyrique, poétique et burlesque, ce petit bijou de l’auteur de La Peau froide résonne comme un écho aux paroles rapportées par Tite-Live dans son Histoire Romaine : « Pugna magna victi sumus » (« Nous avons été vaincu dans une grande bataille »). Nous avons perdu, oui, mais avec dignité et élégance, faisant ainsi de Victus, sans nul doute, un des chefs-d’oeuvre de la littérature catalane contemporaine.

10,20
Conseillé par (Fontaine Luberon)
23 avril 2019

« On ne guérit jamais de son enfance » disait Gaston Bachelard. Le roman de Nancy Huston le démontre magistralement. Continuant d’affronter ses propres blessures livre à livre, l’auteur de la sublime Empreinte de l’Ange nous plonge ici dans un récit généalogique : quatre voix d’enfants, quatre époques, tous liés par un même parent. Tour à tour chacun des protagonistes nous livre leur quotidien, mêlé d’interrogations, de doutes et d’espoir. Au fur et à mesure l’étau se resserre jusqu’au dénouement final, lumineux comme une épiphanie… Dans une langue d’une sensibilité à fleur de peau, Nancy Huston nous offre ici l’un de ses romans les plus aboutis, nous guidant dans les méandres des récits familiaux, là où tout s’est noué, là où tout a commencé et fini, et où de là tout commence.

Conseillé par (Fontaine Luberon)
22 février 2019

Brillant !

Atypique, tel serait le trait le plus significatif du dernier roman d’Andreï Makine, où l’on suit le devenir du roman tragique Le Grand déplacement de Vivien de Lynden, jeune auteur sulfureux obsédé par la décadence de l’Occident. Analyse sans concession de notre époque hystérique et insensée, l’auteur du Testament français nous livre ici deux récits enchâssés. A travers le regard de cet « enfant perdu au milieu d’un siècle égaré », le lecteur passe de son inéluctable glissement vers une idéologie réactionnaire aux prémices des conditions de possibilités de dépassement de son extrême pessimisme. Exigent, lucide, tragique et parfois lumineux, Andreï Makine réussit ici un roman total, sans concession, et non sans une indéfectible lueur d’espoir. En un mot : brillant !