Leiloona B.

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Anne-Marie Métailié

20,00
Conseillé par
29 août 2012

Un retour vers l'enfance ...

Pigeon, vole : un titre bien énigmatique qu’on comprend mieux en se penchant sur la vie de Ildiko, ce personnage de papier qui a pas mal de points communs avec l’auteur … Née en Yougoslavie (en Serbie de nos jours), Idilko voue un attachement sans bornes à sa grand-mère qui l’a d’abord élevée en Pannonie avant que la jeune femme parte vivre avec ses parents en Suisse.

Roman de l’exil, de ces personnes apatrides qui ne se sentent finalement jamais chez elles où qu’elles soient, Pigeon, vole est avant tout un roman sensuel, mais au sens premier du terme : c’est un roman qui décuple nos sens et nous donnerait presque envie de prendre le prochain train pour la Serbie …

Il y a effectivement toutes ces descriptions culinaires qui ont eu l’effet d’une madeleine de Proust chez moi. Ces gros cornichons aigre-doux, ce goulash, ces oignons rouges en salade … J’en salive encore.
Outre ces plats qui fleurent bon les vacances et l’enfance (pour un peu, je me serais vue dans le jardin de mes grands-parents), il y a aussi la chaleur du corps de Mamika, ses chants nocturnes aussi : oui, un roman qui décuple les sens et nous emporte très vite vers ce lieu idyllique que nous avons presque tous dans un coin de notre tête. Un lieu désormais perdu, mais tellement important : un lieu que le temps ne semblait pas changer … Pourtant, quand la guerre éclate, voici cette région elle aussi touchée.

Il serait tout de même faux de dire que ce roman n’est qu’un éloge de cette région de Serbie. L’intrigue revient aussi sur ce sentiment de l’exilé, sur la difficulté de se fondre dans un autre pays,de s’intégrer aussi (l’administration suisse ne leur fera pas de cadeau), mais aussi de la guerre qui a à jamais détruit cet îlot de l’enfance d’Idilko.

La langue de l’auteur (ou plutôt sa traduction) est quant à elle lumineuse, vive et sincère. Un peu à l’image de Mamika : voluptueuse et bienveillante. Un je-ne-sais-quoi qui nous pousse à adopter d’emblée ces personnages comme s’il faisait partie de notre famille.

Pigeon, vole : des petits instantanés de vie qu’on aimera pour ses hauts et ses bas, le tout porté par une écriture pétillante.

Conseillé par
17 août 2012

Touchée et émue !

Gouri vient tout juste de quitter Kiev. Il a un drôle d’air, là, avec sa moto qui traîne une remorque. On se demanderait presque si cette monture farfelue arrivera en un seul morceau à destination. Mais Gouri sait ce qu’il fait. La lumière à cette époque de l’année est douce, les rayons du soleil arrivent encore à passer à travers les branches : de jolis rameaux de lumière.
Notre homme espère arriver avant la nuit. Ainsi, il pourra se reposer un peu auprès de ses amis avant de reprendre la route vers Pripiat. La zone interdite.
Cela fait deux ans qu’il ne les a pas revus. Après la catastrophe, après avoir combattu de son mieux ce mal étrange et invisible qui s’est abattu sur sa ville un certain mois d’avril 1986, il est parti à Kiev. Mais le voici de retour, mû par une certaine urgence. Il doit retourner chez lui, un objet l’y attend …

Mais pour le moment le voici arrivé devant la maison de Iakov et Véra. Ils l’attendent …

La Nuit tombée relate le retour au pays natal d’un homme contraint à l’exil à cause de ce mal invisible, cette radioactivité qui a fait de Pripiat une ville fantôme. Un retour douloureux car si ce mal n’a jamais montré son visage, ses ravages sur l’homme sont nombreux. Iakov, l’ami de Gouri, tout d’abord est un homme dont les jours sont comptés.

Pantin désarticulé vivant, Iakov est bien l’ombre de lui-même, et son récit devra un jour ou l’autre être transmis aux survivants, voire même pourquoi pas, être transcendé par la plume poétique de Gouri. Pourtant, loin de provoquer la pitié, Iakov incarne un courage sans faille, celui dont sont faits les héros.
Récit d’hommes et de femmes brisés, aucun pathos ne s’élève pourtant de leur récit. Iakov a tout d’un héros, mais que dire de sa femme qui garde le sourire et n’hésite pas à glisser quelques traits humoristiques malgré cette situation tragique ? Que dire aussi de cet enfant qui a tout perdu mais que Véra a recueilli ? Que dire aussi de cette vodka qui coule à flots et semble panser pour un temps ces cicatrices à jamais à vif ?
C’est la vie même qui reprend ses droits.

Et puis, au milieu de tout ce réalisme déchirant, il y a la plume de Gouri, le chantre de cette catastrophe nucléaire :

C’est un drôle de sang qui a bondi par les allées tranquilles, emplies d’odeur
A l’encontre des roses et des haleines fraîches de femmes
C’est un sable assassin qui pour toujours grimpe aux écorces
Et avance comme une langue jusqu’aux portes des maisons.

Lui aussi a refait sa vie, loin ces fantômes du passé, mais le mal l’a-t-il réellement quitté ? Peut-on oublier ces jours terrifiants ? Voilà pourquoi il a décidé de revenir, il doit aller chercher un objet laissé dans sa maison. Malgré les interdictions, malgré cette zone encore contaminée, il ira.

Outre la voix de Iakov, une autre voix, celle de Kouzma, racontera aussi les affres des mois qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl. Ces habitants qu’on évacue coûte que coûte, ces animaux qu’on abat à tour de bras, cette terre qu’on retourne sur elle-même, comme si l’on enterrait la terre même … Mais lui non plus ne craint pas d’aller dans la zone interdite. D’ailleurs, certains y vont toujours pour dépouiller les fantômes de leurs derniers biens matériels.

La nuit tombée est un récit bouleversant. Sans pathos ou misérabilisme, il met le lecteur face aux fantômes du passé, mais aussi à ceux du présent. Récit d’exilés, de meurtris au plus profond de leur chair, ce livre touche aussi par son universalité tout en se focalisant sur une sombre période de notre Histoire.

Mais c’est aussi l’histoire de gens qui, loin d’oublier le passé, sont un peu comme des phénix qui renaissent de leurs cendres. Un bel hymne à la vie qui reprend ses droits, mais aussi un bel hommage à cette terre qui restera aux yeux de ses habitants la plus belle, fût-elle contaminée.

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22 avril 2012

Sublime ! En marge de la production littéraire actuelle !

Nos cheveux blanchiront avec nos yeux : un titre poétique qui libère instantanément l'imagination, le roman ne pouvait être mauvais.

Le thème de ce récit tient en deux phrases, et pourtant on pourrait parler de son univers toute une nuit tant il est riche.
Roman en deux parties presque oxymoriques, l'une parle de voyages, d'un départ de l'être aimé pour se retrouver ; l'autre parle de retour, de maternité et d'attachement à ces petits riens qui font la beauté de la vie.

Quand on aime, il faut partir, Blaise Cendrars :

Walther a donc besoin de partir, pour se retrouver. Ce voyage est complètement atypique. Avec pour compagnon de voyage un oisillon tombé du nid qu'il faut protéger, notre homme est déjà une figure à part.
Il croise de nombreuses personnes sur sa route, trouve facilement de l'aide, émeut souvent. Le voici qui nous livre ses états d'âme de poète errant sur la macadam : des phrases tronquées, des instantanés de sa vie, et mises bout à bout voici qu'elles forment une histoire, celle de Walther.
Et puis, à la fin, une révélation, un accomplissement de soi.

J'ai l'obstination farouche d'être bon, Victor Hugo :

Et voici la seconde partie. Touchante, bluffante. Walther a grandi, il est prêt à accepter certains changements. Être père en fera partie.

A croire que vivre équivaut à s'éloigner lentement
du monde. A lui courir après. Un enfant qui naît
est la réalité. Il est Dieu, il crée le monde qu'il perçoit,
ne dissocie pas l'un de l'autre. Lorsqu'il grandit, il a
le nez collé aux choses. Lorsqu'il a peur, c'est immense.
Lorsqu'il sourit, il rit de toutes ses dents, de tout
son souffle. C'est plus tard que ça se complique.

Le voici à l'écoute du monde, le voici redevenu un animal avec un instinct primaire. Ses sens sont alors en émoi et peuvent vraiment appréhender le monde :

Finalement la liste est longue des superbes insignifiances
qui me tiennent debout.

Et l'absence, celle de l'etre aimé paraît alors inconcevable.
Une magnifique déclaration d'amour s'étale alors en quelques phrases, déclaration qui pourrait rendre n'importe quelle femme amoureuse ...

Il y a des heures sans fond, des journées blanches,
perdues, à vivre loin de toi. Chaque jour de la semaine,
la buée des vitres de ta voiture et ta main qui s'en va.
L'odeur de ton écharpe et de ton rouge à lèvres.
des kilomètres de lumière qui nous éloignent. Le bruit
rouge du réveil. Le temps qui manque, ce précipice.
Et d'autres fois plus rien qui avance. L'impression
persistante d'habiter dans une faille. Le soir, casser
des brindilles, souffler sur des braises et recoller
nos morceaux.

Notre Walther, notre courant d'air, cette fille de l'air de la première partie a bien grandi :

Je me dis que c'est bien d'accepter de grandir.
C'est bien d 'accepter d'assumer. Sinon, à partir
d'un certain âge, cela reviendrait à refuser de commencer
à être. Cela reviendrait à refuser de vivre.

De seul, puis à deux, le voici qui devient trois; et c'est apaisé qu'il trouve le sommeil chaque soir :

Je respire vos respirations dans le confort
bleu de la nuit. Je m'endors.

Bien entendu, grandir, c'est aussi quitter l'enfance, accepter que d'autres meurent, ou le soient déjà un peu de leur vivant. En plein glissement vers un ailleurs, déjà :

Mon grand-père est assis au milieu de deux cents
personnes debout. (...)
Je voudrais y aller,
le prendre dans mes bras et répondre à son sourire perdu,
mais je sais qu'il est trop tard. Quand je le vois, je vois
la mort et elle me paralyse.

Le temps glisse alors. On ne se rend pas compte du temps qui passe. L'enfant grandit, inexorablement : le temps a accéléré son mouvement :

Il y a bien six huit mois que ces chaussettes sont
pendues à la corde à linge ... Il s'en est passé des choses en six ou huit
mois. Sans elles, je m'en rendrais peut-être moins compte...
Elles sont mon marque-page
dans le livre du temps.

Laisser une trace, une empreinte dans les sillages de la vie : l'écriture permet alors de se réconcilier avec ce monde complètement absurde. Faire de ces petits riens un tout.

Un tout magnifiquement écrit dans ce roman au titre si évocateur et déjà si beau ... Un premier roman fin et délicat qui ne laissera pas son lecteur indifférent. On quitte à regret ces tranches de vie, ces instantanés en vers libres avant de s'apercevoir que nous aussi nous avons des instantanés à vire aussi. Un roman qui change notre vision du monde et nous fait prendre conscience de l'instant présent. Un livre à garder dans son sac, comme un porte-bonheur. A réouvrir de temps en temps.

Merci monsieur Vinau.

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18 février 2012

Pari risqué mais tenu !

La Belle année est donc un récit fait par une enfant de onze ans.
Il est toujours très délicat de faire parler cette tranche d'âge car les pièges sont nombreux. Le vocabulaire tout d'abord : chaque mot doit être pesé. Ainsi ai-je tiqué au début du récit : une enfant de cet âge-là peut-elle vraiment connaître le mot "accabit" ? Heureusement hormis cette interrogation, rien n'a plus fait lever mon sourcil. Les mots utilisés étaient crédibles sans tomber non plus dans une certaine caricature.
Le fond ensuite : soit nous restons proche de la vie d'une adolescente, et le récit flirte avec le roman de société ; soit nous nous éloignons d'une certaine vraisemblance pour gagner en action ...


Le parti choisi ici fut celui de la vraisemblance : la tranche de vie d'une adolescente de banlieue. D'anecdote en anecdote, Tracey trace son portrait. Avec les déconvenues, la souffrance, mais aussi les petites joies et les retournements de situation bienvenus. Le tout est vif, emporté, sans tomber non plus dans la caricature. Et très vite, le lecteur devient un membre à part entière de cette famille particulière.
On souffre avec Tracey, on s'émeut, on sourit en retrouvant avec elle une partie de notre passé. Malgré tout, en filigrane, se dresse un portrait assez sombre de la société contemporaine. Mais loin d'être moralisateur, le récit est avant tout là pour croquer Tracey, une adolescente qui se révèle bien plus débrouillarde que les adultes qui l'entourent.
Ce parti pris de la vraisemblance a bien sûr quelques défauts : malgré le ton enjoué de la narratrice, force est de reconnaître qu'au milieu du récit l'intérêt s'émousse un peu. Les jours ne se ressemblent pas tous, mais on se demande parfois jusqu'où le roman nous portera. Toutefois Tracey est assez attachante pour qu'on continue de la suivre ...

La fin arrive alors, plus rapidement qu'on ne l'aurait cru, d'ailleurs. Finalement une année passe vite ... Alors on se rend compte, à la fin du roman, que les adolescents sont véritablement les seuls qui puissent amorcer en une année à peine un virage à 90 °. L'avenir est en eux.
Une chronique d'une pré-adolescente drôle, enjouée, on est toujours sur la bonne ligne. Ni utopie ni caricature dans La Belle année.

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13 janvier 2012

Un livre d'une beauté sombre et mélancolique

C'est pour la côte bretonne, du côté de Dinard que Claire quitte tout un jour. Sa vie d'avant, le bruit de la ville. Elle s'installe alors dans une petite bicoque prêtée par son ancienne professeur de piano. Là, parmi ces pierres de granit, les cheveux séchés et emmêlés par le vent salé, elle renoue avec son enfance.
De ses parents, il ne reste rien. Ou plutôt, il reste l'absence. Un accident de voiture provoqué par un homme triste de comprendre que sa femme le quitte ; une femme qui se tue pour avoir été la cause de ce premier suicide.
Un début de vie assez lourd pour Claire et son frère. Lui, il sera placé en pension, quant à elle, elle sera très vite accueillie par les parents de Simon dans leur boutique.

Les Solidarités mystérieuses est un roman sur les différentes osmoses qu'on peut croiser sur le chemin de notre vie.
C'est d'abord Simon pour Claire, cet homme maintenant marié et père, mais pour qui l'attirance ne s'est jamais vraiment démentie ; puis c'est la professeur de piano, même si l'attachement n'est pas le même ; enfin c'est le relation que la jeune femme possède avec son frère Paul. Même si les débuts ont été chaotiques, entre eux existe un joli lien indéfectible.

Outre ces différentes solidarités mystérieuses, une osmose particulière va naître entre Claire et la côte bretonne. C'est une femme d'extérieure qui se bat pour cette partie malmenée de la Bretagne.

Claire est une femme blessée mais terriblement forte, mue par une force qu'elle puise sans doute dans la relation qui l'unit à son frère. A deux, c'est toujours plus facile.

Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé. Bien sûr ils avaient partagé des scènes cruelles, partagé des deuils, quand ils étaient enfants, ils avaient pleuré l'un à côté de l'autre, mais jamais un pacte n'avait été prémédité et conclu entre elle et lui.

Ce sont des personnages meurtris, malgré les différents liens qui les unissent ; et le style dépouillé, sans grande envolée lyrique, mime la sécheresse des sentiments. L'amour y est à l'état brut, jamais dit, juste ressenti.

Et le décor, fait de maisons de granit balayée par un fort vent salé, ne fait qu'accentuer cet état sauvage, ce dépouillement inexorable dans lequel s'est engagée Claire.

Petit à petit elle fera partie de ce paysage, devenant quasiment un fantôme sur cette côte.

Les solidarités mystérieuses, c'est aussi une multitude de narrateurs, un roman choral qui nous permet de connaître la réalité sous plusieurs angles. Le style change alors selon le narrateur choisi : ainsi les chapitres racontés par Paul sont-ils plus denses, les phrases plus longues, les sentiments à la surface ; au contraire de ceux racontés par Claire, presque des scripts.

De ce roman, le lecteur retiendra ce paysage offrant tout un camaieu de gris, mais aussi ces personnages solitaires malgré les nombreux liens indéfectibles que la vie leur a permis d'avoir.
Il y a dans ces solidarités mystérieuses une beauté triste et profonde qui s'échappe.