Grégoire C.

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A la tête de la belle librairie Obliques depuis 2011.

21,00
Conseillé par (Librairie Obliques)
1 mars 2018

Pas pour les touristes.

"Ce livre n'est pas pour les touristes" a dit un journaliste à propos d'Homo sapienne, et c'est tout à fait vrai. Parce que si en achetant ce livre groenlandais, vous vous attendez à voyager dans de grands espaces enneigés, à chasser le phoque en tapant sur des tambours rituels, vous allez être déçu.

Ici, c'est une romancière qui n'a pas trente ans qui vous parle. Et être jeune et vivre au Groenland, ça n'est finalement pas très différent que partout ailleurs. On aime, on souffre, on rit, on cherche sa place dans un monde dont on commence à peine à saisir les contours et qu'on explore par réseaux sociaux interposés. Et si Homo sapienne est un livre stupéfiant, ça n'est pas parce qu'il est groenlandais, c'est surtout parce qu'il réussit à mettre le doigt sur ce doux malaise d'une génération, à l'identité floue, aux désirs sexuels contradictoires. On y parle du Groenland bien sûr, car avoir un pays, c'est aussi savoir qui on est, et ces considérations ont nécessairement une place dans l'imaginaire en construction de ces jeunes, mais cette incertitude se mêle à toutes les autres, et vous ne trouverez aucune thèse dans ce livre trop sensible pour être politique, ou trop politique pour être vraiment militant.

Roman choral qui nous place au plus près des sentiments et des douleurs de ces jeunes en quête, Homo sapienne est aussi une prouesse stylistique, innovante, qui fait feu de tout bois, de toutes les formes littéraires disponibles, lesquelles répondent aux multiples moyens de communication de cette génération née avec Internet et la discussion permanente. C'est expérimental parfois, poétique souvent, on y parle anglais, groenlandais, danois. Ca ne ressemble en tout cas à pas grand chose que vous ayez déjà lu et rien que pour ça, ça mérite le détour.

8,30
Conseillé par (Librairie Obliques)
5 janvier 2018

Inquiétante étrangeté

Ce roman est un couloir qui ne mène nulle part, bordé de portes qu'on n'a pas le courage d'ouvrir. Fable moderne et objet métaphysique, il n'offrira aucune réponse mais plusieurs terrains de réflexion sur les individualités contemporaines, nos identités, nos amitiés, les lieux que nous peuplons.

Ce pourrait être abscons et pénible, mais en plus de sa construction en poupées russes qui maintient un suspens doux, le texte tient aussi par la prose de Philippe Forest, l'un de nos plus grands esthètes de la langue française. Court et vif, c'est un roman qui travaille en profondeur et dont les enjeux résonnent bien au-delà de la lecture.

Conseillé par (Librairie Obliques)
4 septembre 2017

Si vous décidez de lire ce livre, rendez-vous page 2

Attention, on n'est pas loin de notre gros coup de cœur de cette rentrée 2017 !
Quel souffle ! Quel humour ! Quelle ambition !
D'abord, quand on ouvre ce livre, on est en terrain connu, capté dès le prologue par un univers familier. Oui, c'est un grand roman américain comme on les aime, avec tous les passages obligés du genre : le prof de fac déprimé, les affres de la création, le feuilleton politico-médiatique.

Et pourtant, il y a ce petit quelque chose en plus, cette voix qui sonne différemment, cette singularité qui fait que le livre ne ressemble à aucun autre. Et dieu sait qu'on en a vus passer ! Alors on avance dans ce pavé de 700 pages qui tournent toutes seules et on plonge un peu plus dans le cœur de ce projet littéraire pour comprendre que le vrai sujet de ce livre, ça n'est pas l'Amérique, pas une énième intrigue familiale qui se réglera à grand coup de révélations tonitruantes. Ce dont nous parle Nathan Hill, c'est quelque chose de plus vaste, de plus existentiel, c'est la vie, énormément et tout simplement : celle qu'on rêve, celle qu'on se construit, celle à laquelle on renonce. Comme dans les "livres dont vous êtes le héros" que Samuel, le protagoniste de cette histoire, lisait quand il était enfant, chacun des personnages de cette somme romanesque est une facette, une réponse différente à la même question, universelle, terrifiante et fascinante à la fois : ai-je fait le bon choix ?
Mais quand on a dit ça, on n'a pas dit le voyage échevelé dans lequel le livre nous embarque, du Chicago universitaire et contestataire de 1968 jusqu'au populisme médiatique d'un candidat républicain à la présidence en 2011, en passant par un chapitre splendide, presque un roman à lui tout seul, qui dépeint l'enfance de Samuel et son amitié avec un gamin solaire et anarchiste. On n'a pas non plus parlé de la très pertinente réflexion sur la puissance médiatique qui traverse tout le livre ni du poids qui pèse sur les épaules des jeunes filles des années 60 à nos jours. Fantômes norvégiens, éditeurs verreux, flics pervers et histoire d'amour passionnelle parachève ce très impressionnant premier roman d'une richesse folle, écrit avec une fluidité qui vous emporte littéralement. La seule question qu'on se pose maintenant, c'est "à quand le prochain ?"

Niels

Viviane Hamy

20,00
Conseillé par (Librairie Obliques)
2 septembre 2017

Juste après l'armistice vient l'heure des règlements de compte. Qui a fait quoi pendant l'occupation ? Qui s'est compromis ? Jusqu'où ? Dans le milieu culturel parisien, les artistes ont fait des choix très variés et pas toujours très clairs. C'est ce que va découvrir Niels, qui a quitté précipitamment le Danemark pour venir en aide à son vieil ami dramaturge, qui risque la peine de mort pour collaboration.

Avec cette intrigue pleine de rebondissements et d'émotions fortes, Alexis Ragougneau délaisse son genre de prédilection, le polar, mais conserve sa formidable capacité à raconter des histoires où les passions humaines sont à l'origine du meilleur comme du pire, d'actes de bravoure autant que de violences perverses. Enfin, ce roman, c'est aussi un décor formidablement brossé, celui du Paris de l'immédiat après-guerre, où tout le monde semble heureux et soulagé de retrouver son pays enfin en paix, mais où les blessures saignent encore sous les belles toilettes et les sourires.

11,50
Conseillé par (Librairie Obliques)
31 août 2017

Monument

Suite de notre sélection de rentrée littéraire avec une oeuvre profonde qui fera date, mélange subtil entre la métaphysique païenne de Georges Bataille et l'affranchissement naturel des conventions qu'on retrouve chez Walter Benjamin.
Quinzième tome d'une oeuvre en perpétuelle construction, océanique et végétale, ce "Titeuf, à fond le slip" frappe dès sa couverture, d'un rose fluo conquérant et son titre, référence assumée au "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche.

D'un point de vue sémantique, on y retrouve, comme auparavant, ce goût de l'auteur pour la multi-ordinalité comme dans cette planche sur l'IVG qui est aussi un pamphlet végétariste (page 7) ou encore cette fulgurante charge contre la théorie du langage universel de Chomsky (page 27).
On s'amusera aussi, au milieu de cette écrasante débauche d'idées et de pensées complexes, de clins d’œil littéraire plus triviaux comme cette cocasse référence à Shakespeare et à sa lettre perdue de Mantoue (page 25).
En résumé, cet album poursuit et surpasse l'oeuvre déjà pléthorique de Zep et s'impose comme un monument de la littérature philosophique du XXIe siècle. Dommage que peu de libraires aient le courage de mettre ce genre de titres en rayons. "Trop compliqué", diront-ils. Mais si tout le monde réfléchit de cette manière, et ne vend que ce qui est vendable, alors où ira notre civilisation et notre belle culture ? Je vous le demande !