guerre apres guerre
EAN13
2000037253637
Éditeur
Grasset
Date de publication
Nombre de pages
218
Langue
français

guerre apres guerre

Grasset

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INTRODUCTION?>AVANT d'esquisser la vie de Ménélik II, il me paraît nécessaire de faire connaître exactement son pays tel qu'il était pendant son règne (et qu'il est encore derrière le précaire décor dressé par son successeur). Sa curieuse histoire aussi doit être ébauchée pour comprendre l'œuvre de cet Empereur que j'ai comparée à celle de notre Louis XI.Il existe plusieurs ouvrages en amharique sur Ménélik II, dont le plus notoire est celui de Guébrié Sélassié, ministre de la plume, personnage décoré de la Légion d'honneur et familier des légations et ambassades où on lui donnait de l'Excellence, bien qu'il fût un ancien esclave. Son maître l'avait fait instruire pour avoir plus tard un corani1tout comme il aurait fait châtrer un enfant pour avoir en temps utile un eunuque de confiance. En l'occurrence, Guébrié était digne du choix, car il devint le plus érudit de tous les lettrés éthiopiens, et, ce qui est plus rare, il fut honnête homme bien que doué d'une rare intelligence.Sa chronique, si elle ne dit pas tout, du moins ne vous égare pas par des mensonges flatteurs, et ceci ne fut point sans mérite quand on sait qu'il soumettait chaque jour ses écrits à l'Impératrice Taïtou.J'ai donc pris pour trame de mon livre la chronique de Guébrié, traduite de l'amharique par Ato Tèsfa Sélassié. Laissant de côté les chronologies fastidieuses, je me suis efforcé d'en combler les volontaires lacunes par les récits des contemporains et le peu que j'ai vu moi-même. J'ai tenté de faire ainsi une peinture typique et vraie d'unpeuple que le monde ignore en croyant le connaître d'après les reportages d'envoyés spéciaux, hôtes des légations et du guebbi2, où, sans s'en rendre compte, ils reçoivent le mot d'ordre. Ils deviennent ainsi les inconscients complices de manœuvres politiques qui aboutissent aujourd'hui aux pires catastrophes. Inutile, je crois, de préciser davantage, car nous savons tous ce que tôt ou tard nous vaudra la tourmente qui souffle aujourd'hui sur le monde. Chacun d'ailleurs est libre d'accuser le parti adverse de l'avoir déchaînée, mais l'instrument originel qui dès 1935 décida du sort de l'humanité n'est autre que l'Ethiopie.A cette époque, devant l'imminence d'une occupation italienne de ce royaume enclavé dans sa zone d'influence (Cap au Caire), l'Angleterre intervint et fulmina contre Mussolini, cynique agresseur d'un peuple paisible qu'elle présentait au monde comme s'il eût été homogène. Ne dit-on pas en effet, « les Ethiopiens » comme on dit les Français ? Elle le montrait imbu de nos conceptions politiques et animé d'un patriotisme farouche. Dans ces conditions l'intervention de l'Italie prenait le caractère d'une odieuse et lâche agression, assez fâcheusement comparable, par exemple, à celle du Transvaal. On sait la suite : les sanctions, l'Axe et finalement la guerre. Enfin la victoire avec le grand V à la Churchill et tous les bienfaits des multiples Libérations.C'est alors que de nouveau l'Ethiopie revint à l'ordre du jour, car loin de reconnaître son erreur passée l'Angleterre persista à la déclarer en parfaite condition de prendre place en alter ego dans le concert des puissances. Or la réalité est bien différente.Ce grand pays est un manteau d'arlequin morcelé en petits royaumes plus ou moins indépendants que Ménélik II avait soumis par la force ou la ruse et réduits à une servitude misérable ainsi qu'il était d'usage dans l'antiquité.Aujourd'hui, l'Ethiopie se compose d'un petit noyau peuplé de véritables Ethiopiens de race sémitique et de religion chrétienne. C'est l'Amhara et le Tigré. Mais cesdeux provinces, à peu près d'égale superficie, sont ennemies séculaires et irréductibles.La population globale de cette Ethiopie sémitique n'excède pas trois millions. C'est elle seule qui a une histoire et une civilisation conservée inchangée depuis Salomon.Le reste des territoires limités par les frontières politiques de l'Ethiopie telles que les représentent nos atlas est peuplé de races totalement différentes par les caractères ethniques, les langues, les religions et les mœurs. Ce sont les Gallas, les Somalis, les Danakils, les Gouragués et les Chankallas, pour ne citer que les principaux. Cette population se monte à environ dix millions et vit en état de servage. Tous ces peuples ont été asservis par la féodalité amhara dès les premières armes à feu importées par les Portugais au XVIesiècle.Cette manière de protectorat a été achevée et définitivement établie par Ménélik II, souvent au prix de massacres inouïs, tel par exemple celui qui dépeupla Kaffa, dont le peuple farouche et guerrier refusait de se soumettre. Encore aujourd'hui, ces lointaines régions prodigieusement fertiles sont incultes faute d'habitants.Le protectorat tel que le conçoivent les Ethiopiens se réduit au payement de redevances toujours hors de proportion avec les possibilités locales et ceci systématiquement, pour justifier les razzias de bétails et d'hommes exportés comme esclaves.Voilà les réalités, voilà pourquoi, moi qui aime cette Ethiopie où j'ai vécu presque un demi-siècle, voilà pourquoi j'ai soutenu le pays qui pouvait le mieux sauver du servage, de la famine et de la déchéance, dix millions d'êtres humains sacrifiés au seul profit d'une minorité féodale, peut-être naguère glorieuse – si l'on glorifie des conquêtes menées à coups de massacres et les brigandages, – mais surtout férocement parasitaire.Comment une telle population pourrait-elle avoir le sentiment de patrie ? J'ai entendu les lamentations de ces malheureux quand ils connurent, eux aussi, la Libération, c'est-à-dire quand le Négus, réintégré par les Anglais, leur eut repris leurs terres, données en toute propriété par les Italiens, et que les razzias des« libérateurs » décimèrent le bétail des « traîtres », c'est-à-dire de ceux qui étaient restés sur leurs champs pour les sauver.
Ceci est déjà de la vieille histoire, mais il fallait ce rappel pour comprendre le rôle que vient jouer l'Ethiopie dans la révolte de tous les pays de l'Union Française, doux euphémisme pour voiler la triste réalité de notre expulsion progressive de toutes nos colonies ou protectorats.Avant l'absurde guerre de 1940, « Union Française » eût bien exprimé la condition de nos territoires d'outremer avant que l'Angleterre, obstinée dans son erreur initiale, n'eût proclamé l'Ethiopie puissance non seulement indépendante, mais digne de prendre place à l'O. N. U. et de juger les conflits internationaux pour régler le sort des pays en tutelle incapables de se gouverner seuls.Mettons-nous alors à la place des Indochinois, des Tunisiens, des Algériens, des Marocains, de tous ceux enfin qui ont une civilisation évoluée et surtout qui appartiennent à des races si proches de la nôtre. Tant que l'Ethiopie faisait figure de royaume nègre isolé en Afrique, son indépendance ne les choquait pas plus que celle de toute autre tribu provisoirement oubliée des envahisseurs. Mais, le jour où on leur imposa ces nègres (c'est ainsi qu'Arabes et Chinois les nomment, au sens le plus péjoratif du mot) comme juges, ce jour-là, ce fut la révolte.Voilà donc, sur le plan international, le résultat de cette erreur. Elle ne tardera pas d'ailleurs à être exploitée par l'esprit de parti qui annihile la raison des hommes les plus sensés jusqu'à en faire des doctrinaires aveugles et amoraux qui ne craignent pas de déchaîner la bête humaine dans les conflits politiques ou religieux plus inhumains, plus implacables et plus féroces que les guerres les plus meurtrières.On ne peut plus en effet reconnaître cette erreur sans avouer que l'Italie, en quatre ans d'occupation, réalisa une œuvre colossale, tant matérielle que morale, dans un pays devenu depuis la mort de Ménélik aussi barbare et anarchique que la tribu la plus sauvage de l'Afrique. Mais qui donc oserait faire allusion à ce qui fut tenté par Mussolini sans que surgisse l'épouvantail : le Fascisme, et ce mot dont on a oublié le sens véritable (le faisceau : l'union fait la force), ce mot suffit à oblitérer toute compréhension. D'ailleurs, dans le camp opposé, celui de « communisme » produit les mêmes effets et n'est pas mieux envisagé.Le mal de ce côté est donc irréparable, mais cette ...
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