Discours de réception à l'Académie française
EAN13
2000037003416
Éditeur
Grasset
Date de publication
Dimensions
118 cm
Poids
140 g
Langue
français

Discours de réception à l'Académie française

Grasset

Trouvez les offres des librairies les plus proches :
ou
entrez le nom de votre ville

Offres


REMERCIEMENT DE M. JEAN MISTLER A L'ACADÉMIE?>M. Jean Mistler, ayant été élu par l'Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. le comte Robert d'Harcourt, y est venu prendre séance le jeudi 13 avril 1967 et a prononcé le discours suivant :MESSIEURS,
Vers la fin de cette Flûte enchantée, où Mozart, à la veille de quitter notre terre, semble avoir écouté pour les transcrire les voix d'un autre monde, le prince Tamino arrive en face d'une porte que gardent deux hommes en armure. Il avance et les deux guerriers chantent :Celui qui chemine sur cette route pleine de périlsTraversera sans mal le feu, l'air et la terre.S'il peut surmonter la crainte de la mort,Il s'élèvera, loin de la terre, jusqu'au cielEt pourra, après avoir reçu l'initiation,Se consacrer tout entier aux mystères d'Isis.Alors, la musique qui jusque-là avait accompagné d'un sourire presque enfantin le vieux conte de l'oiseleur, de la méchante fée et du vertueux prêtre-roi, se fait aussi solennelle que le plus grave choral de Bach, la porte s'ouvre, et le prince entre dans un monde nouveau.Au moment où vous me faites l'insigne honneur de m'accueillir parmi vous, comment ne songerais-je point au chef-d'œuvre entendu si souvent depuis mon enfance qu'il me semble faire partie de ma vie ? Votre extrême indulgence m'a épargné les longues épreuves de Tamino et, quand je me suis présenté devant vos portes, aucune voix ne m'a crié : « Arrière. » Aujourd'hui pourtant, sous cette voûte ornée d'étoiles comme le décor où paraît la Reine de la Nuit, malgré la présence, à ma droite et à ma gauche, des deux parrains qui ont bien voulu guider mes premiers pas dans votre Assemblée, un sentiment m'étreint qui n'est point ce trouble physique, ce désarroi qu'on appelle le trac, mais une crainte révérencielle, pareille, sans doute, à celle qu'éprouvaient jadis les visiteurs d'Abydos ou d'Eleusis.
Reçu ici, il y a un peu plus de vingt ans, Robert d'Harcourt s'excusait, n'ayant atteint dans l'armée que l'humble grade de sergent, d'avoir à retracer la vie d'un maréchal de France. Du moins, celui qui s'intitulait « un modeste germaniste » pouvait-il, en se retournant vers ses aïeux, dénombrer parmi eux d'autres maréchaux et un académicien, et je ne saurais me flatter d'antécédents aussi illustres. La famille d'Harcourt-Beuvron, étroitement mêlée depuis mille ans à l'histoire de France, remonte authentiquement à ces conquérants normands que Gobineau s'était donnés comme ancêtres dans la généalogie imaginaire qu'il avait forgée. Votre regretté collègue ne parlait jamais de ces chevaliers, il avait choisi d'être un homme d'étude, il a suffi néanmoins que des circonstances tragiques, en 1914, vinssent briser le rythme paisible d'un temps trop heureux, pour que, dans les tranchées de Lorraine, il retrouvât d'instinct ces gestes du soldat qui sont pour le combattant l'accomplissement du devoir quotidien, mais que l'historien est bien forcé d'appeler de l'héroïsme.J'ai connu Robert d'Harcourt douze ans avant la fin de sa vie. Je me rappelle, lorsqu'il me reçut pour la première fois, dans son petit salon clair de l'avenue de Saxe, la main mutilée qu'il me tendit, la profonde cicatrice qui sabrait le bas de son visage, le regard bienveillant derrière les verres épais de ses lunettes. Je ne savais rien de sa vie, n'ayant point lu encore ses Souvenirs de guerre, et je connaissais seulement ses ouvrages politiques et ses études sur la littérature allemande. J'étais venu lui demander une série d'articles pour L'Aurore, dont je dirigeais alors la rubrique étrangère. Il accepta, et aussitôt, d'une voix nette et un peu sourde, il esquissa les lignes principales de ce qu'il comptait écrire. Plus tard, je devais le revoir assez souvent, pourtant ce n'est qu'après sa mort, en lisant ses Souvenirs de jeunesse, que j'ai mesuré toute sa richesse intellectuelle et morale, tant il est vrai que l'enfant est le père de l'homme et que ses premières années orientent toute sa vie.Robert d'Harcourt est né le 23 novembre 1881 en Seine-et-Marne, au château de Lumigny. Dans ce domaine, qui appartenait à son grand-père maternel, le marquis de Mun, il passa la plus grande partie de son enfance. Deux cahiers de souvenirs restés inédits et les fragments d'un journal manuscrit qu'ont bien voulu me confier ses enfants sont la source où je puiserai pour essayer de faire revivre l'homme devant vous.
Le milieu dans lequel s'est déroulée sa jeunesse est le même que celui des Mémoires de la duchesse de Gramont ou de la comtesse de Pange : un petit monde qui a disparu sous nos yeux, emporté par les deux cataclysmes de 1914 et de 1940. Cette vie où il y avait plus de luxe que de confort, où l'on se mettait en habit pour dîner à la campagne, mais où on grelottait l'hiver dans les chambres, était restée presque inchangée depuis l'Ancien Régime. Mille anecdotes se pressent sous la plume de Robert d'Harcourt : il parle de son oncle, Albert de Mun, le grand orateur qui fut des vôtres et qui, toute sa vie, lutta pour créer un parti politique attaché à la fois aux valeurs morales du catholicisme et au progrès social, mais il évoque surtout un autre oncle, l'abbé Bernard de Mun, qui dirigeait à Saint-Germain-l'Auxerrois un des premiers patronages de jeunes gens qui aient existé en France. L'abbé, chasseur enragé, partait seul au crépuscule, avec son vieux fusil à broche, et se mettait à l'affût, sous un arbre, si parfaitement immobile que les grands rapaces nocturnes volant dans le bois venaient parfois se poser sur son chapeau. Cette passion pour la chasse était générale à Lumigny et Robert d'Harcourt la conserva toute sa vie.
S'identifier pour envoyer des commentaires.