Ma

Hubert Haddad

Zulma

  • Conseillé par
    5 octobre 2015

    Il est des auteurs produisent un livre par saison, de préférence en septembre au moment où ils ont le plus de chance d'être médiatisés, et même si on ne les a jamais lus -si si cela se peut, j'en suis une preuve vivante- on les connaît quand même, voire on sait même ce qu'ils écrivent. C'est un peu comme les émissions de télé -réalité ou autre-que l'on ne regarde pas mais dont on sait le principe et dont on connaît les intervenants parce que tout le monde en parle partout. C'est lassant. Dès lors pourquoi s'infliger des lectures attendues et parfois mauvaises lorsqu'on sait qu'en grattant un peu, on peut trouver des auteurs moins connus du grand public comme on dit désormais, moins "vus à la télé" et qui écrivent formidablement ? Et une fois trouvé un nom, par exemple celui de Hubert Haddad, pourquoi se contenter d'un seul roman puisque pour cette rentrée littéraire, il en a écrit deux ? Et comble du bon goût, cet écrivain à le talent d'écrire deux romans totalement différents -alors que certains avec leur livre par an écrivent toujours le même. Après l'excellentissime "Corps désirable" que je vous recommande très vivement, voici donc "Mā". Ce roman se déroule au Japon, au XXIème siècle avec Schōichi, le jeune homme amoureux et à la fin du XIXème et au début du XXème avec Taneda Santōka, le haïkiste. Plus Schōichi avance dans la lecture du mémoire dédié au poète, plus il suit ses pas d'ermite, de marcheur. Santōka est un personnage réel, un jeune homme qui a vu sa mère se jeter dans le puits pour ne plus subir l'inconstance et l'infidélité de son époux. Après un mariage piteux, et divers boulots auxquels il n'est pas assidu, il partira sur les routes.

    Comme toujours, l'écriture de Hubert Haddad est belle, assez différente de celle de "Corps désirable", plus elliptique, poétique, phrases plus courtes. Dans certains passages, mon esprit s'égarait, et là m'est revenue une phrase lue dans le livre de Jean-Michel Ribes sur l'écriture, qui ne concerne pas tout le roman mais juste ces quelques paragraphes : "Écrire un grand livre composé de mots auxquels je ne comprendrais rien mais dont la sonorité m'entraînerait vers des pensées jusque-là inconnues..."

    Mā est lent, descriptif, contemplatif, le temps s'étire sans que le lecteur le trouve long. C'est beau, c'est zen, les excès de saké de Santōka donnent l'envie de boire un thé japonais plutôt que de l'alcool. On est dans l'ambiance du Japon fin XIXème/début XXème siècle rapidement : "La famille de Sato Sakino, plutôt démunie mais de bonne éducation, agréa l'offre de ce riche voisin, et comme leur fille était consentante, le mariage devant les invités eut lieu aux premières feuilles rouges de l'automne 1909, peu avant l'assassinat du prince Itō Hirobumi par un patriote coréen." (p.129) Et comme souvent, en plus de la description, H. Haddad place au détour d'une phrase une information qui fait qu'en plus du plaisir on apprend un truc. Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de citer la fin du rabat de 1ère de couverture décrivant l'écriture de l'auteur : à la fois j'acquiesce à ces propos et dans le même temps, je vous renvoie à la phrase de JM Ribes sus-citée :

    "Son écriture est comme la palpitation miraculeuse de la vie, au milieu des montagnes et des forêts, à travers le chant des saisons, comme un chemin sur le chemin."