Les successions

Mikaël Hirsch

L'Éditeur

  • Conseillé par
    28 avril 2013

    Pascal Klein est un marchand d’art cynique, un rien amer de ne pas être devenu peintre, à l’instar de son célèbre père dont c’était le domaine réservé. Ne pouvant créer, il a choisi de vendre les créations des autres et il se positionne surtout sur l’art moderne, très abstrait et fortement conceptuel. « Une fois la beauté considérée comme ringarde, le support avait sombré au profit de son explication. Duchamp, en rejetant la responsabilité esthétique sur le spectateur, avait mené le monde au relativisme absolu qui conduit invariablement au cynisme. On vendait désormais des modes d’emploi. » (p. 35) Pascal considère l’art comme un bien de consommation courante, certes de luxe, mais qui est régi par les règles du marché, de l’offre et de la demande.


    À Tokyo, il cherche un tableau intitulé L’Amazone, peint par Chagall, et qui a déterminé la vocation de son père. La toile a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, butin noyé dans la masse des spoliations nazies. Assis dans un restaurant, Pascal attend un mystérieux interlocuteur qui doit lui en apprendre plus sur le tableau. Seul dans cette ville nippone inconnue, il laisse défiler ses souvenirs et ses rêves avortés. Son esprit vagabonde aussi vers Ferdinand de Sastres, un collectionneur du 20° siècle dont les conceptions de l’art étaient plutôt originales.

    Ce voyage au bout du monde relève de la quête existentielle et Pascal s’évertue à trouver du sens et des filiations entre toutes choses, notamment entre les différents possesseurs d’une œuvre d’art et de l’influence de cette dernière sur ses détenteurs. « Lorsque Pascal regardait un tableau, il voyait, avant tout, une succession. » (p. 25) La relation tourmentée entre Pascal et son père est à la source de cette quête et de ses questions identitaires. A-t-il réellement gâché sa vie ou en a-t-il fait ce qu’il devait ? « La ressemblance véritable ne consistait donc pas à susciter l’approbation paternelle, mais bien au contraire à provoquer la rupture. » (p. 112) La réponse n’est pas certaine, mais le plus important semble bien de commencer la réflexion.

    Ce récit est décousu, mais passionnant et addictif. Chaque fois que l’on retrouve Pascal à Tokyo, c’est comme si l’on sortait la tête de l’eau pour reprendre notre souffle, alors que Pascal lui-même étouffe dans cette ville japonaise dont il ne comprend pas les messages et les images. J’ai particulièrement apprécié la réflexion sur l’image – artistique ou non –, sa véracité, sa transmission, sa dégradation et son rapport au réel. Dans un monde saturé d’images, la communication devient périlleuse, incertaine et sans cesse mouvante.

    Les successions est un roman qui interroge, voire qui dérange. Mais il gratte là où ça fait du bien, sur les relations parents/enfants et les héritages qui sont parfois trop lourds à porter, mais aussi trop précieux à abandonner.


  • Conseillé par
    31 janvier 2012

    A lire!

    Voici un roman que j'ai adoré!!

    Pascal Klein aurait aimé peindre. Freiné par les relations qu'il entretient avec son père, lui-même peintre reconnu, il fait des études d'art et ouvre une galerie qui expose des artistes dont les concepts sont novateurs ou à la pointe de la modernité.

    Au fil d'une conversation et en regardant des photos familiales avec son père, il tombe sur une photo où est représenté une peinture de Chagal L'Amazone. Son père lui dit alors avoir oublié ce tableau pendant toutes ses années, mais qu'il se souvient désormais qu'il se trouvait dans accroché au mur de sa chambre d'enfant.

    Pascal partira alors à la recherche de cette oeuvre oubliée et perdue pendant la guerre, persuadé que cette oeuvre fera le lien entre lui et son père.

    Les récits s'entremêlent alors et Ferdinand de Sastres fait son apparition.

    Riche héritier, il vit dans un palais extraordinaire construit en plein Paris, où tous les styles se mélangent, et collectionne les oeuvres d'art. Cependant, persuadé qu'elles lui sont nuisibles, il les laisse enfermées dans leur caisse et laisse ainsi travailler son imagination.

    Mais quel est le rapport entre un Chagal que Pascal se voit contraint de rechercher jusqu'au Japon et l'histoire de ce dandy un peu fou?

    A travers ces deux récits, Mikaël Hirsch partage ses réflexions sur l'art, la communication et les liens familiaux avec beaucoup de réussite.

    Malgré un début assez obscur, j'ai trouvé ce récit passionnant je vous le conseille vivement si vous aimez l'art et les réflexions qui peuvent en découler.


  • Conseillé par
    17 octobre 2011

    A Tokyo, Pascal Klein, propriétaire d'une galerie d'art, voit enfin peut-être poindre le fin de sa quête. Celle d’un tableau de Chagall ayant appartenu à ses grands-parents. Fils d’un peintre, il s’agit d’un homme passionné par l’Art et son évolution mais aussi tourmenté.

    Un résumé sommaire pour un livre qui m'a laissée dubitative… Et ce pour plusieurs raisons. J’ai eu du mal à rentrer dans ce livre où j’ai trouvé que l’auteur en faisait trop au niveau de l’écriture. Un style allant même jusqu'à être"pompeux" à mon goût. Puis, je me suis emmêlée dans les fils qui au lieu de se montrer conducteurs pour moi ont été source de grands moments de solitude ( et oui!). Je n’ai pas compris toutes les réflexions de ce galeriste sur l’évolution de l’Art ou ses questions existentielles (que ceux ou celles veulent crier à l’inculture le fassent, j’ai prévu un bouclier !). La trame principale mène Pascal Klein à Tokyo à la recherche d’un tableau. Pas un tableau connu du public mais une toile du célèbre peintre Chagall. Le tableau se trouvait accroché dans la chambre d’enfant de son père. Après la Seconde Guerre Mondiale, il n’y a plus aucune trace du tableau. A ce récit s’ajoute l’histoire de Ferdinand de Sastres. L’homme, un collectionneur excentrique, possédait une multitude d’œuvres d’art toutes enfermées dans des caisses. Chaque semaine, sa vaste demeure voyait voyait son lot de visiteurs. Ferdinand de Sastres leur décrivait avec ferveur les joyaux qu’il possédait bien que le doute planait sur leur existence. Cette histoire dans l’histoire m’a intéressée mais il était trop tard…

    Je suis complètement passée à côté de ce roman


  • Conseillé par
    29 août 2011

    J'avais beaucoup aimé l'écriture de Mikaël Hirsch dans son roman précédent, Le Réprouvé, même si j'avais émis quelques réserves sur le livre en lui-même. Oserais-je écrire que pour Les successions, je n'ai aucune réserve à formuler ? Oui, j'ose ! Ce livre est formidable de bout en bout. L'auteur pousse le talent à nous intéresser à la mutation du monde de l'art. D'abord les oeuvres : "L'idée même de beauté paraissait obsolète. A quoi bon s'obstiner après Michel-Ange et Dali ? Les machines aussi pouvaient prétendre à une beauté, certes aléatoire et binaire, mais souvent convaincante pour les sens. Peu importait le résultat pourvu qu'il y ait une idée. Seule comptait à présent l'intention. Ce qu'il fallait avant tout, c'était creuser une veine encore inconnue, avoir un concept original, se démarquer du voisin par un procédé quelconque. Une fois la beauté considérée comme ringarde, le support avait sombré au profit de son explication. [...]

    L'originalité, en tant que credo, engendrait une surenchère inévitable." (p.35/36)
    Ensuite, les acheteurs : "Pascal était pragmatique. Son intérêt pour les artistes et leurs oeuvres était sincère, mais il savait par expérience que la sensibilité est intransmissible. Il avait affaire à des milionnaires un peu bornés et traitait avec eux sans mépris, de la manière la plus simple possible." (p.33) Le sujet m'intéresse d'autant plus que je l'aborde de manière récurrente avec un ami peintre surtout lorsqu'on rentre d'une exposition et que j'y ai vu des toiles blanches ou grises monochromes ou des oeuvres que je juge sans intérêt et limite "foutage de gueule" (je suis très subjectif et direct, ce qui augmente ensuite la valeur de la disussion). Nous partons donc dans notre dialogue parlant comme Pascal Klein, d'idée plus que de beauté, de concept. Les cinquante premières pages du livre sont consacrées en grande partie à cette réflexion, qui continue ensuite tout au long de l'ouvrage.
    Mais ce roman n'est pas que cela. Il est aussi "une quête existentielle" (4ème de couverture) : un homme qui n'a jamais communiqué avec son père et qui, à la fin de la vie de celui-ci tente enfin d'entrer en contact. Pas toujours facile, la communication fonctionne à condition d'être au moins deux. "Son affection était le fruit d'un travail, d'une décision mûrement réfléchie et non d'un simple lien de parenté. Forme étrange d'inversion des rôles, on pouvait dire qu'il avait reconnu son père, ou plutôt, qu'il l'avait accepté comme autre chose que son simple géniteur." (p.169) Il décide alors de retrouver le Chagall pour l'offrir à la vue de son père et à la sienne. Tous les deux le verraient ensemble, ils créeraient enfin un lien très fort.
    Il y a encore autre chose dans ce livre, c'est la remontée dans le temps, et la biographie de Ferdinand de Sastres. Je ne sais pas si ce doux-dingue a réellement existé, mais quel formidable personnage de roman : au début du XXème siècle, il quitte l'empire financier paternel pour vivre une vie d'esthète, d'amateur d'art totalement iconoclaste. On peut trouver quelques traces de lui sur certains sites, mais oubliez-les et plongez immédiatement dans ce livre de Mikaël Hirsch qui vous détaille tout ce que je viens de tenter de résumer et qui recèle encore des tonnes de propos, d'idées et de belles phrases. Il y a tant à dire sur ce roman, je n'ai pas écrit la moitié de ce que j'avais envie de transmettre. J'arrête cependant mon laïus ici de peur d'être trop long et d'apparaître comme un exalté -j'en vois qui sourient et qui opinent. Attention, j'ai vos noms et une bonne mémoire !-, mais croyez-moi, voici un des romans de la rentrée littéraire 2011 (le cinquème pour moi) qui met la barre très haute, tant pour l'intérêt de l'histoire, pour la qualité de l'écriture que pour l'intelligence du propos.