Faut-il manger les animaux?

Jonathan Safran Foer

Éditions de L'Olivier

  • Conseillé par
    22 janvier 2011

    Faut-il manger les animaux? de Jonathan Safran Foer

    Faut-il manger les animaux? C’est la question que pose l’écrivain américain Jonathan Safran Foer qui abandonne un moment le roman pour écrire cet essai publié au mois de Janvier aux éditions de l’Olivier.

    Jonathan Foer pose d’abord le problème moral qui a d’abord était celui des sociétés primitives mais qui, à notre époque, ne nous préoccupe plus trop, l’animal nous apparaissant comme de la viande dans un supermarché : est-il moral de manger des animaux? Ceux-ci, en effet, sont capables de conscience, de sensibilité donc de souffrances aussi bien physiquement que psychologiquement. Sans verser dans l’anthropomorphisme et en s’appuyant sur des observations et des expériences scientifiques rigoureuses, on peut déterminer que les animaux sont sensibles à la peur, au stress qui se mesure aux toxines libérées dans leur organisme; ils peuvent mourir de crise cardiaque; ils sentent approcher la mort. Ils sont dotés d’une certaine forme d’intelligence qui, si elle n’est pas égale à celle de l’homme, est pourtant indiscutable de nos jours. Nous le nions parce que cette vérité est dérangeante.


    Cependant, il faut savoir que, si l’on ne veut pas renoncer à manger des animaux parce que c’est une chose “naturelle”, il est moins naturel de surconsommer de la viande comme le font les américains et à un moindre degré (mais tout de même!) les européens! Une consommation excessive de viande entraîne le développement intensif et bientôt exclusif de l’élevage industriel qui se concentre aux mains de quelques multinationales dont les gouvernants se font les complices au nom des profits économiques. Or, l’élevage industriel n’est pas moral, l’élevage industriel est mauvais pour notre santé, l’élevage industriel est une catastrophe écologique dont notre planète a et aura toujours plus à souffrir si nous continuons ainsi.
    Ce sont les trois idées-phares que développe Foer au cours d’une argumentation solide qui s’appuie sur des exemples tirées de son enquête et d’une documentation ample et méthodique.

    L’élevage industriel ne respecte aucune éthique. Les quelques lois qui paraissent pour protéger les animaux sont timides, mal observées et souvent détournées. L’élevage est en effet pratiquée d’une manière inhumaine qui implique une souffrance quotidienne des animaux. La mortalité à cause des conditions de vie et des mauvais traitements est extrêmement élevée et se pose alors le problème des cadavres à éliminer qui sont versés dans des fosses où ils vont contaminer les couches souterraines, les cours d’eau comme le font d’ailleurs les déjections, le purin de ces fermes industrielles qui sont cause d’un pollution intense et irréversible. De même pour les émissions de gaz à effet de serre rejetées par ces élevage si intensifs.. Pour éviter les maladies qui s’attaquent systématiquement à ces animaux, on leur injecte des doses de médicaments et surtout d’antibiotiques massifs. Ils sont pourtant infectés de bactéries que les conditions d’abattage accroissent encore; les bains de javel dans lesquels on fait tremper les volailles ne résolvent pas le problème puisque des maladies liées à cette alimentation ont été recensées sur une population d’environ 76 millions d’américains. D’autre part, cet élevage industriel est responsable des grippes aviaires et porcines qui font peser sur notre planète les risques d’une pandémie. Celle-ci pourrait être aussi meurtrière que la grippe espagnole de 1918 qui a fait, à elle seule, plus de morts que la première guerre mondiale.
    Mais ce n’est pas tout. Les animaux élevés en industrie sont génétiquement modifiés pour qu’ils produisent plus, pour les rendre plus charnus. Les espèces naturelles sont en voie de disparition. Les différentes races de poules, par exemple, sont en train de disparaître pour laisser place à un “prototype” difforme, monstrueux, qui accroîtra le profit de ces éleveurs.
    D’autre part, l’accroissement des cultures réservés au bétail occupe déjà et occupera une portion toujours plus grande des terres cultivables .. La faim dans le monde pour les pays pauvres risquent de s’accroître pour que les pays riches puissent continuer à surconsommer de la viande!
    Il n’y a plus aux Etats-Unis de fermes naturelles sauf celles de quelques fermiers qui cherchent encore à préserver les espèces et à pratiquer un élevage et un abattage moralement acceptables. Mais ils font faillite ne pouvant tenir devant la concurrence des multinationales.

    "Il n’y a plus de fermiers, mais des managers, des usines d’élevage, d’abattage, de découpe et de conditionnement dont les responsables n’ont plus aucune notion de ce qu’est un animal. Ils n’ont qu’une pensée : comment gagner plus en dépensant moins, et s’ils pensent que des animaux malades leur feront gagner plus que des animaux sains, ils le font. S’ils pensent que cela revient moins cher d’élever des animaux hors nature, à l’intérieur, sans voir le jour, ils le font. S’ils pensent qu’on peut les nourrir avec autre chose que de l’herbe et du fourrage, ce que jamais un fermier n’aurait pu penser il y a cinquante ans, ils le font et les nourrissent de maïs ou de tourteaux de soja, ou même de résidus animaux, faisant d’espèces herbivores des carnivores malgré elles. Savez-vous qu’un poulet dans la nature vit dix ans et celui que vous mangez au McDonald’s, quarante-cinq jours ? S’il vivait plus longtemps, ses pattes se casseraient sous son poids."

    Pour mener à bien cette étude Jonathan Safran Foer a étudié de nombreux rapports de scientifiques, de sociétés de consommateurs indépendantes du pouvoir. Mais il a aussi demandé des autorisations pour pénétrer dans les grands abattoirs et les grands élevages des Etats-unis, autorisations qui lui ont toujours été refusées, bien entendu! Alors il y est entré clandestinement, de nuit. Il a vu de ses yeux des spectacles effarants qu’aucun être humain ne devrait pouvoir tolérer. Il a interrogé des ouvriers qui ont témoigné sous l’anonymat par crainte des représailles de ce qui se passait dans les abattoirs, certains ont même filmé des scènes d’une cruauté insoutenable. Il est allé aussi visiter ceux qui, parmi les éleveurs luttent pour pratiquer un élevage correct sur le plan éthique et pour préserver les animaux des souffrances inutiles qui s’abattent sur eux dans les abattoirs.

    Quant au style, disons que Jonathan Safran Foer sait appeler un chat un chat et qu’il ne s’embarrasse pas de fioritures. Il va droit au but! Il a l’art aussi par des comparaisons imagées de parler à l’imagination du lecteur et de lui permettre de mesurer l’ampleur de la catastrophe. Ainsi quand la multinationale Smithfield a rejeté plus de 75000 mètres cubes de déchets liquides dans la New River en Caroline du Nord. Elle a, nous dit J.S. Foer, "libéré assez de lisier liquide pour remplir 250 piscines olympiques."

    Je dois dire que ce livre a soulevé pour moi de graves questions : quelle est notre responsabilité en tant que consommateurs? Devenir végétarien est-il une réponse? En suis-je capable? L’attitude d’une minorité peut-il changer quelque chose face à ces grands groupes tout puissants? J’en suis arrivée à me dire que faire savoir ce qui se passe paraît un devoir et accepter de le savoir aussi!

    J’ai bien aimé l’attitude de Jonathan Foer qui explique sa propre lutte : Devenir végétarien, c’est renoncer au poulet aux carottes de sa grand mère, la plus Grande Cuisinière du Monde. Cette grand mère qui, enfant, a vu disparaître sa famille dans les camps de concentration et, fuyant les nazis, a survécu dans les forêts presque morte de faim. Pourtant, même alors, elle n’aurait jamais accepté de manger de la viande qui n’aurait pas été casher car, explique-t-elle à son petit-fils, et c’est par ces mots que Jonathan Safran Foer conclut son essai : "Si plus rien n’a d’importance, il n’y a rien à sauver."