Tous, sauf moi

Francesca Melandri

Folio

  • Conseillé par (le Carnet à spirales)
    15 octobre 2020

    Avec ce gros pavé lancé dans la mare qui fait émerger des épisodes nauséabonds de l'histoire italienne que certains auraient sans doute préféré laisser engloutis à jamais, Francesca Melandri clôt magistralement sa trilogie des pères, débutée par "Eva dort", puis "Plus haut que la mer", deux romans hantés à la fois par la figure paternelle et la nation italienne, indissociables, tant le destin de la première est lié à celui de la seconde.
    Ce troisième volet, très justement intitulé Sangue giusto, le bon sang en version originale, met en scène Attilio Profeti, père de quatre enfants, autrefois homme d'affaires charismatique et sans scrupules, aujourd'hui vieillard sénile. Ilaria, sa fille, découvre un jour sur son palier un jeune Ethiopien se dénommant lui aussi Attilio Profeti. Médusée, elle apprend l'existence jusque là soigneusement cachée d'un cinquième enfant dont le rejeton couleur d'ébène a parcouru des milliers de kilomètres, torturé par les Libyens, malmené et recraché par la mer Méditerrannée, humilié par les Italiens pour se présenter à son grand-père, Attilio. Débute alors pour Ilaria une (en)quête compliquée : Recoller les morceaux d'un pan inavoué et inavouable de l'existence d'un père engagé très tôt dans les jeunesses fascistes, à la solde d'une armée qui, entre 1935 et 1941, colonisa une partie de l'Ethiopie et y déploya une violence inouïe. Un père qui a enfermé hermétiquement dans une vieille boîte en fer ses valeurs fascistes, sa théorie de la race supérieure et les lettres restées sans réponse d'un fils noir aussi infamant qu'illégitime.
    Une construction non linéaire, une écriture sans concession, un souffle romanesque allié à un travail de documentation colossal, donnent à voir un tableau saisissant de destins que l'Histoire a réunis malgré eux. A tous ceux qui l'auraient oublié, Italiens et autres Européens qui dérivent doucement vers le nationalisme, Francesca Melandri rappelle que les migrants d'aujourd'hui sont les colonisés d'hier.