Chez les heureux du monde

Edith Wharton

Le Livre de poche

  • Conseillé par
    30 août 2014

    Je ne connaissais Edith Wharton que de nom. Mes études d'anglais ne l'ont jamais mise en travers de mon chemin, il a fallu un petit coup de pouce du destin. Ce que je vais dire de ce roman est liée à mon immersion totale dans l'oeuvre et la vie de l'auteure pendant les mois passés. Je n'aurais pas su l'apprécier à sa juste valeur si je n'avais pas disséqué ce texte, tant au niveau des thèmes que de l'écriture. Les métaphores sont très nombreuses, l'effet de miroir présent aussi soit entre les personnages, soit entre deux moments précis mais ce que j'ai aimé par dessus tout, c'est son utilisation de la focalisation interne qui fait qu'on ne sait pas toujours si les descriptions sont celles d'un personnage ou celles de l'auteur. L'incipit en est un excellent exemple.

    En ce qui concerne les thèmes, Edith Wharton se centre sur la condition des femmes des couches aisées de la société états-uniennes au début du XXe siècle, c'est à dire à son époque, nous montrant à quel point les femmes étaient infantilisées et obligées de se "prostituer" pour trouver un mari riche puisqu'il n'était pas question pour elles de travailler. Son art est de parvenir à mélanger un roman très réaliste et très travaillé tant au niveau des figures de style que de la construction et des techniques de narration. J'ai adoré sa manière de peindre ses personnages, la cruauté des femmes envers les femmes, le "héros" romantique, Selden, qui se révèle lâche et n'est d'aucun secours et la descente tragique de Lily.


  • Conseillé par
    13 septembre 2010

    Lettre W de mon Challenge ABC 2010.

    Miss Lily Bart est une délicieuse jeune femme. À 29 ans, elle n'est pas encore mariée et la riche société new-yorkaise dans laquelle elle évolue compte les chances qui lui restent de trouver un époux.

    Sous des dehors d'innocence et de grâce, Lily Bart est d'une intelligence éclairée, d'une ambition rare et elle possède une haute opinion d'elle-même. "Ses actes les plus simples semblaient le résultat d'intentions qui allaient loin." (p. 25) De bals en séjours prestigieux, elle tente de prendre dans ses filets des hommes riches capables de payer son fastueux train de vie et son goût immodéré pour le luxe et le confort. La laideur et la médiocrité l'horrifient plus que tout. Elle ne conçoit son existence et son bonheur futur que dans un environnement riche et débarassé des soucis pécunaires. Dépensière impénitente, joueuse malchanceuse, elle fait face à des difficultés grandissantes pour tenir son budget. Un arrangement financier ambigu avec l'époux d'une de ses amies précipite la fin de son règle majestueux dans une société qui ne tolère les femmes célibataires que si elles gardent suffisamment de crédit pour faire un mariage convenable.

    Brillante illustration des versets de l'Ecclésiaste sur la vanité, le récit présente une société où comptent avant tout l'apparat, l'apparence et la gloire que procure l'argent. L'élite new-yorkaise du début du XIX° siècle est composée de vieilles familles et de nouveaux riches, au nombre desquels les Juifs qui sont montrés du doigt et vaguement méprisés. Le personnage de Simon Rosedale, désobligeant homme d'affaires, concentre tous les préjugés de cette époque sur les hommes de cette religion. Mr Rosedale est retors, avare, avide de réussite et de reconnaissance. Pour entrer dans le monde policé des grands bourgeois new-yorkais, il lui faut une porte d'entrée majestueuse: une épouse de ce monde qu'il convoite. Le récit d'Edith Wharton illustre également une certaine théorie de l'évolution. Pour survivre dans la société mondaine, il faut savoir s'adapter à ces changements, renoncer au passé et faire les bonnes alliances. Si Mr Rosedale sait jouer ses cartes, la faiblesse de Lily Bart est de refuser de se compromettre et de suivre une ligne de conduite sans issue.

    Lily Bart maîtrise "l'art d'accumuler" (p. 50) mais elle dépense tout aussi vite, et pas uniquement l'argent. Elle use à toute vitesse les bénéfices de relations prometteuses, elle repousse les alliances qui la sauveraient. Exagérément prodigue quand elle vise un bénéfice personnel, elle ne reçoit rien, alors que la vraie charité lui ouvre finalement, mais trop tard, les yeux sur ce que la solidarité signifie. Obligée de revoir ses ambitions à la baisse tout au long du récit, elle finit acculée dans la misère et la médiocrité qui lui causaient tant de terreur.

    Avec son physique pour seule vraie richesse, Miss Lily Bart a "plaisir à se représenter sa beauté comme un pouvoir au service du bien" (p. 64), de son bien. Toujours au meilleur ton de la plus grande élégance, Lily n'est pas avare de sa beauté. Elle l'offre aux regards, en toute pudeur et dans le respect de la beinséance, mais en mesurant parfaitement les effets de ses charmes. Mais trop conscience de la valeur de sa grâce, elle perd ses chances de mariage en refusant de l'offrir à des êtres qui ne correspondent pas à ses ambitions sociales. Sa grâce décline et les temps de son triomphe sont derrière elle. Vivant de souvenirs et de nostalgie, cherchant vainement à raviver des atmosphères perdues, Lily Bart perd le sens des réalités, sans cesse tourmentée par ses finances et ses ambitions.

    Dans cette comédie mondaine, Mr Selden est un spectateur en retrait. S'il étudie les manoeuvres et les habiles manipulations de Lily, il ne peut empêcher son coeur de battre pour elle. Trop indécis pour s'imposer à elle, il ne sait pas combattre la réserve qu'elle lui oppose et elle-même ne peut pas s'accomoder de cet homme qu'elle aime mais qui ne correspond pas à ses idéaux sociaux.

    Plongée dans un monde cruel où les amitiés ne sont que de façade, où de plus puissants se servent d'elle pour dissimuler leurs infamies, où il est très facile de la rendre coupable du moindre faux pas en lui prêtant de mauvaises relations fondées sur des témoignages douteux, Lily ne peut compter que sur peu d'amis. Mais la réelle sollicitude de ces âmes charitables ne fait qu'exarcerber le sentiment d'échec que Lily Bart cultive devant le spectacle de sa vie déclinante.

    J'ai dévoré ce roman en quelques heures. Je me suis prise d'affection pour Lily qui, bien que superficielle et arriviste, garde une fraîcheur innocente de victime. Elle ne peut pas se conduire autrement: elle a été élevée ainsi et le monde qu'elle côtoie ne fonctionne pas autrement. Un grand moment de lecture, plein de finesse et d'ironie cinglante. Les heureux du monde sont-ils ceux qui ont tout ou ceux qui parviennent à se libérer de cette contrainte de possession et d'apparence?